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« Attends… tu prends une année sabbatique? »

« Hey, pis, t’appliques en quoi? »

Je ne sais jamais quoi répondre à cette question. Parce qu’honnêtement, qui, à 18 ou 19 ans, sait vraiment la voie qu’il va emprunter pour le reste de sa vie? C’est un peu absurde de nous demander de choisir maintenant ce qui va motiver nos réveils à 6 AM pour les décennies à venir, alors que j’ai de la difficulté à choisir la prochaine série que je vais regarder sur Netflix… (suggestion, quelqu’un?)

Blague à part, je me sens un peu comme un imposteur dans un monde d’adultes; ceux qui gravitent autour de moi semblent savoir où ils vont, ce qui les poussent à continuer, mais je n’ai aucune idée de qui je suis, Moi. Moi avec toute sa majuscule, toute sa grandeur – et la frayeur qui vient avec.

Alors quand on me demande le métier qui m’intéresse ou le champ d’études qui me passionne, je réponds avocate, médecin, journaliste, auteure – et je m’enfonce dans cette mascarade qui me rend profondément inconfortable.

L’autre jour, c’était à moi de poser la fameuse question à une amie, et, tranquillement, posément, elle m’a répondu qu’elle comptait prendre une année sabbatique. Elle n’avait aucune idée de l’ampleur de la bombe qu’elle venait de lâcher.

« Attends… tu prends une année sabbatique? »

« Oui, oui, une année sabbatique pour partir en voyage, travailler à l’étranger avec Workaway au Guatemala, faire un stage avec AFS en Argentine, aller faire du bénévolat au Sénégal, enseigner l’anglais en Chine. Prendre une année pour Moi, à Moi, pour apprendre à me connaître, sortir du beat de la vie d’ici, apprendre une nouvelle langue, voyager alors que j’en ai l’occasion, me ressourcer spirituellement, ouvrir mes horizons, faire de nouvelles rencontres, bref, me réaliser, Moi. »

J’ai rigolé un peu avec elle, parce qu’elle en avait beaucoup, des plans pour l’année à venir… Mais surtout, je l’ai regardée avec admiration. Parce que je savais que c’étaient toutes des choses qui allaient manquer à ma p’tite vie. Parce que je n’aurais, certes, jamais le courage de repousser mes études d’un an, de repousser ma vie adulte de 365 jours et des poussières.

***

Même s’il y a mille facteurs qui entrent en jeu, je crois que le seul qui importe dans la décision de prendre une année sabbatique, c’est soi-même. C’est surtout notre peur d’affronter le regard de l’autre, la peur de rater le « bateau », la peur du monde et de l’étranger, la peur de devoir s’affronter pendant que le reste de tes amis n’ont qu’à penser aux études.

C’est comme si, après avoir passé toute ta vie à suivre la ligne qu’on t’avait tracée, tu faisais face à un gouffre qui, par l’infinité de choix, te réfléchissait ta propre personne, toi, le personnage principal dont tu avais pourtant fait abstraction durant toute ta scolarité.

Ainsi, rationnellement, on devrait tous prendre cette pause de notre vie afin d’apprendre à vivre celle-ci.

Irrationnellement, nous sommes tous portés à croire qu’en partant un an, le monde autour de nous se sera volatilisé, que toutes les portes se seront refermées, que ces « opportunités » que l’on nous vend comme étant immédiates et obligées se seront dérobées… Et pourtant, qu’est-ce qu’un an, 8760 heures ou 525 600 minutes, dans l’univers? Malgré ce que l’on veut que tu croies, rien n’aura changé. Rien sauf toi. Et ton regard sur ce monde.

Mais une année sabbatique, c’est aussi une échappatoire, c’est une façon de fuir ses responsabilités – ce qui n’est, après tout, pas une mauvaise chose. En sachant que toute la vie durant, on accepte les règles du jeu, cet intervalle d’un an paraît comme un dernier soubresaut de liberté. La majorité d’entre nous acceptera les responsabilités inhérentes à la société en qualifiant notre zèle de force de caractère; c’est néanmoins ceux qui auront pu s’échapper – le temps de deux sessions – qui auront peut-être eu raison de nous…

***

J’ai jusqu’en mars pour envoyer mes demandes à l’université. Mon amie m’a promis de m’envoyer des nouvelles de son année sabbatique. Avec des photos, de longs messages, des appels téléphoniques. De quoi me faire rêver.

Peut-être un jour…

Par Anne-Sophie Lê

Crédit photo : Steven Lewis

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