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Et toi, comment es-tu femme? Réflexion sur les normes et les genres

Moi, je me sens femme. Parfois je me sens tellement femme que je rayonne de ma féminité, et parfois, je suis perdue d’être femme, confuse, souvent choquée, parfois pas à ma place dans ce qu’être femme représente, ce à quoi je ferais mieux de correspondre, parfois je suis femme et je mets des gens mal à l’aise parce que je suis une femme qui parle, une femme qui baise, une femme qui aime les femmes et une femme qui aime les hommes, une femme éduquée, une femme non soumise, une femme qui a subi les violences des hommes, une femme éveillée, une femme qui met un pantalon tout le temps et du maquillage de temps en temps, une femme à la couleur de peau pâle et aux poils très noirs qu’on m’enquiert d’éliminer, une femme qui n’apprécie que moyennement les blagues sexistes, racistes et homophobes, je suis une castratrice parfois, je suis une féministe de base souvent, je suis féministe tout court aussi, je suis en situation de précarité, je suis engagée, je suis pas riche, je suis pas pauvre, je suis une femme qui use de ses mots pour combattre des injustices, une femme qui ne se contente pas d’être une femme et une femme qui porte à bout de bras le fait d’être une femme. Qui essaie de briser les murs de la maison des femmes, érigée par des hommes, solidifiée par le temps et le silence, dans le doux confort de l’hétéronormativité.

HÉ-TÉ-RO-NOR-MA-TI-VI-TÉ

Hétéronormativité. Mot compliqué, n’est-ce pas? Concept compliqué aussi. Et pourtant présent partout autour de nous. Ce mot — hétéronormativité — désigne tout un tas de normes sociales appartenant à un système dans lequel seule l’hétérosexualité est reconnue comme valide et valorisante. Par là, nous entendons la sexualité certes, mais aussi les rapports entre les différents sexes, les rapports de communication, les rapports amicaux, amoureux, professionnels, de représentation, mais aussi de domination dans le plus dramatique et invisible des cas.

Car, il s’agirait de ne pas l’oublier, l’hétérosexualité possède dans son champ d’action un grand nombre de cas où le dominant est l’homme et la femme, la dominée. C’est une réalité certes qui ne n’équivaut pas pour autant à une faiblesse/infériorité de ces dernières. Tout comme tous les autres groupes sociaux marginalisés/oppressés ne sont pas naturellement dans cette position.

Mais ce n’est pas tout. Les normes hétérosexuelles de représentation de soi dans ce cadre hétéronormatif sont empreintes d’une multitude de codes auquel l’on doit se conformer si l’on veut appartenir et être accepté•e dans le système. Un des problèmes (il y en a des tas) avec cela, c’est que beaucoup d’individus ne se reconnaissent pas dans ces normes, dans ces manières d’être ou de faire, dictées depuis l’enfance et censées nous aider à démarrer dans le monde. Déjà, le simple fait, basique, élémentaire, de ne pas être hétérosexuel nous exclut de ces normes traditionnelles. En termes proportionnels, cela équivaut à exclure de la « sphère acceptée » socialement toutes les autres sexualités. Selon cette disposition, l’hétéronormativité favorise les actes homophobes et sexistes parce qu’elle défend une vision unique des relations et de ce que les êtres humains sont censés être.

Par exemple, on nous apprend à être femme, à être homme, mais comment cela se passe-t-il quand on ne se reconnait pas dans la totalité des phénomènes/faits/caractères que ces étiquettes supposent? Celles-ci peuvent être des facteurs de mal-être et d’isolement significatifs dans la vie des jeunes et moins jeunes qui ne savent pas pourquoi ils sont différents tout en vivant avec des normes exclusives. Les catégories binaires référant au sexe et au genre des êtres humains dans ce système sont selon le modèle hétéronormatif : mâle/femelle (sexe) et femme/homme (genre).

Pendant la grande majorité de l’Histoire ainsi furent désignées les différentes catégories des humains. Plus récemment, nous découvrons, comprenons, et transmettons le fait qu’il existe une diversité de possibilités d’êtres humains tout simplement. Les notions de féminité ou de masculinité sont fluides, appropriables, changeantes, perméables, influençables et surtout, éminemment personnelles. On appelle cela le spectre du genre :

Source

Concevoir les multiples potentialités d’un soi sans limite, sans contrainte d’être ou ne pas être inscrit•e dans tel ou tel genre binaire, c’est une chance, mais c’est aussi un pied de nez au système hétéronormatif qui est aussi subtil qu’hypocrite.

Les normes de ce système sont visibles médiatiquement, dans la manière dont les femmes et les hommes sont représentés, à force de stéréotypes les plus ridicules les que les autres. On rend la femme sexuelle et désirable aux yeux de tous, sans forcément lui demander son avis, on rend l’homme avide de pouvoir, d’argent et de violence hors de toute réalité raisonnable. On met les hommes homosexuels dans des boîtes à paillettes et les femmes gays au volant des camions de marchandises. On parle des personnes trans comme des victimes ou des gens malades, on ne reconnaît même pas l’existence des gens asexuels. Les cadres et acquis physiques et esthétiques nécessaires au bon fonctionnement du système ne sont pas réalistes, datés, limitants, puis nient la diversité des féminités et des masculinités. Le système hétéronormatif fait tout ça; il invisibilise un monde qui existe au-delà de ses frontières statiques.

Je parle d’une démarche de changement social et d’abolition de ces normes néfastes. Il importe que ceux qui sont éveillés à ces enjeux « challengent » cette acceptation aveugle des normes identitaires. L’hétéronormativité c’est comme un virus solide — une épidémie de conformité — ancré dans nos systèmes immunitaires depuis tellement longtemps que les anticorps ont du mal à s’en défaire. D’autres disent que ces normes sont internalisées. Il s’agit alors de se défaire de ces carcans qui nous limitent, qui excluent certains d’entre nous. Il s’agit de ne plus penser « nous et les autres », mais tendre vers un idéal qui prônerait « toi, moi, et les autres, tous pareils et tous différents ». Briser les normes hétéronormatives, c’est une démarche d’acceptation de soi et des autres, c’est recourir à nos qualités humaines et à notre pouvoir d’action collectif.

Photo de couverture © Laura Callaghan

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