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Être plus que juste correcte

J’ai pas beaucoup de mémoire. Je suis le genre de fille qui entre dans sa chambre d’un pas ferme, s’arrête net et fixe le mur avec des gros yeux vides : « Qu’est-ce que je faisais là déjà? ». Et je cherche dans tous les sens de mes neurones, mais rien. Comme si, d’un instant à l’autre, j’avais tout supprimé et vidé ma corbeille. Il m’arrive de penser qu’il y a des fuites dans mon sac de mémoire à court terme.

Je sais que ça arrive à tout le monde. Mais moi ça m’arrive 58 fois par jour!

Par contre, ma mémoire à long terme est pas si mal. Parfois, y’a même des vagues de très vieux souvenirs qui viennent me chatouiller les orteils. Ça m’arrive habituellement dans le bus, puisque j’habite pas proche et que j’ai le temps de penser en masse. Sinon, ça m’arrive en classe, Dieu sait pourquoi.

L’autre matin, j’étais vraiment haut dans les nuages. Je sais pas quelle envolée j’avais prise, mais j’étais partie pour un boutte. Je voyageais dans le temps, je repassais les moments marquants de ma vie un par un. Ça m’importait peu, ce que j’y redécouvrais. Je flottais parmi les miettes croustillantes de mon passé, pis comme avec les chips, une fois que tu y goûtes, tu peux plus t’arrêter.

Il y a un souvenir qui m’a particulièrement marquée.

Je devais avoir entre trois et six ans, ce segment-là est assez flou. En tout cas, je pense que j’avais encore ma petite face ronde de bébé cute. Mon petit air choupinet que j’ai pas tardé à perdre en même temps que ma première dent, ma candeur pis mon positivisme. J’étais assise à la table de la cuisine, en train de faire des dessins dont l’esthétisme relevait de l’impatience et je racontais ma journée à la garderie. Ma maman m’écoutait comme une maman : à moitié. Je lui en veux pas, c’est pas ben ben intéressant, la journée d’une enfant du point de vue d’un adulte. Ce qui m’émerveillait, moi, valait pas beaucoup, d’un point de vue adulte. C’est normal, tout était une découverte. J’apprenais le monde.

J’ai un gros blanc concernant le sujet de ces confessions spontanées. Je pense que je parlais d’un objet ou d’une attitude, je suis plus trop sûre. Mais ce que je sais, c’est que tout le monde l’avait/le faisait! Évidemment, moi aussi je voulais le faire. Je me demandais pourquoi ce n’était pas mon cas. Je me souviens plus si ma mère était d’accord ou non. Je me souviens pas de grand-chose, finalement. Ouin.

Mais je me souviens d’une phrase qu’elle m’a dite. Pis je me souviens de ce que j’ai ressenti. Elle m’a dit : « C’est pas important d’être comme tout le monde. Même que c’est encore mieux d’être différent, d’être unique. C’est ben plus le fun de se différencier. Personne se souvient des gens ordinaires, au final. »

 Je me souviens y avoir beaucoup pensé, par après. C’était comme une révélation. Comme si elle me donnait la mission d’être inimitable. Et j’ai accepté cette mission comme une précieuse opportunité. C’était un cadeau. Elle me donnait la chance de choisir non seulement qui je voulais être, mais en plus, de l’exploiter au maximum.

J’ai appliqué cette pensée à chacun de mes choix, dans ma vie. J’ai jamais voulu être comme les autres, même si c’était pas facile. Malgré les jugements, malgré les échecs, malgré tout, j’ai complètement refusé de faire comme les autres. Ma mère s’attendait sûrement pas à ce que je prenne ces paroles à la lettre, comme ça. Elle a dû être découragée, par moment. Elle a dû croire qu’elle avait créé un monstre.

Ça pas toujours été facile : à mon école secondaire, être différent, c’était mal vu. Tu voulais pas être différent. Les gens te laissaient pas être différent, ils s’arrangeaient toujours pour que tu le saches. Je suis revenue très souvent en pleurant à la maison, mais mes larmes étaient comme de l’huile. Elles attisaient mon désir d’être différente.

Je me suis tellement conditionnée à être unique que ça a eu un impact considérable sur mon aspect perfectionniste. À l’école, surtout. Avoir la moyenne dans un cours, c’est poche. C’est correct, là, mais s’il y a un mot que je déteste, c’est bien « correct ». Quand t’es correct, t’as rien de spécial. T’es le synonyme d’ordinaire. T’es pas bon, t’es pas mauvais. T’es rien.

C’est peut-être nono, mais quand un gars que j’apprécie me fait sentir comme si j’étais n’importe quelle autre fille, je le prends pas. J’ai envie d’être la personne préférée de mes personnes préférées. Je suis pas correcte, je suis pas ordinaire. Je suis un être à part entière, avec bien des défauts, certes, mais je suis extraordinaire. Rien de moins. Y’a tellement de beaux qualificatifs dans le dictionnaire. Si je te demande ce que tu penses de quelque chose, dis-moi pas que c’est correct!

Et non, malgré ça, je crois pas que ça fasse de moi et des gens comme moi des personnes égocentriques. Je pense pas que je suis la meilleure. Je pense que je suis unique. J’aime les gens, surtout les différents, mais authentiques. Ceux dont la personnalité colorée est le résultat de prises de tête impossibles. Parce que je vois un peu les gens comme des personnages de romans. Ils sont tous distincts et beaux. Et moi aussi.

Il faut dire, les mouvements de masse m’intéressent aussi. J’aime les gens solidaires qui s’unissent pour changer le monde. Pour brasser la boule de verre afin qu’il y ait une couple de brillants qui planent. Mais les mouvements qui me rejoignent le plus sont les plus underground. Les mouvements antimodes, par exemple, comme les hippies, les punks et les grunges. Pourquoi? Parce qu’ils ont quelque chose à revendiquer. Les marginaux se distinguent généralement, car ils ont leur mot à dire. Parce qu’il faut réfléchir à ce qu’on fait, des fois, même si tout le monde le fait. Même si tu passeras pas à l’histoire avec ça. Parce que c’est vrai qu’à la fin, notre existence a été futile.

Gandhi disait : « Tout ce que tu feras sera dérisoire, mais il est essentiel que tu le fasses. »

 C’est une question de respect envers toi-même. Ta personnalité est le fruit d’un fignolage perpétuel. C’est une œuvre d’art détaillée; faut pas la cacher dans un entrepôt avec les autres œuvres tristes. Il faut l’exposer, tenter de la saisir, de l’expliquer.

Les normes, les standards, c’est un peu comme les records enregistrés; faut voir plus loin que ça, encore.

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