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Je suis allée voir un show – Par Noémie |

Keith Kouna. Vers 21h30. À Limoilou en musique.

Boutonné ma chemise. Enfilé mon veston. Mis mes boucles d’oreilles éléphants. Monté mes bas. Lacé mes Docs. Reviré ma casquette par en arrière.

Et puis je suis sortie. J’suis montée dans l’auto. J’ai conduis jusqu’à la 3e avenue. Mais elle est fucking longue la 3e avenue et j’ai dû marcher au moins 30 minutes avant d’arriver à la foutue scène. Là-bas y’avait du monde, mais pas assez pour que je pète une coche.

Je m’attendais à rien. Keith Kouna, je l’avais entendu genre trois fois à la radio, pis regardé presque gagner un prix à la TV. À part ça, je le connaissais pas. Sa musique non plus.

Sauf que là, ça sonnait mal. Ça sonnait croche. Ça sonnait juste pas. Mais j’ai quand même pu catcher la vibe.

Grâce au monde autour. Grâce à ce qu’il portait. Grâce à l’ambiance de son habillement. Parce que les gens là, autant toi, que moi pis Keith Kouna, on s’habille en fonction de la musique qu’on écoute. Qu’est-ce tu veux, c’est de même.

C’fait que j’ai vu le côté punk d’abord. Avec les grandes bottes noires, lacées jusqu’en haut. Les biker-coats très 80’s en gros cuir épais. Les studs argentés. Les jeans délavés. Les cheveux décoiffés.

Puis le côté poète. Les chapeaux. Les plumes. Les foulards.Les chemises carreautées rouges et noires.Les longues vestes beiges. Les cheveux longs.

Et le côté sale aussi. Les t-shirts avec les imprimés Spiderman, Batman et « Fuck mon ex ». Les capris bruns. Les sandales kaki agrémentées de bas bruns supposés blancs. Les cheveux gras.

Parce que la musique de Keith Kouna, c’est effectivement une punk sale et une poésie forte. C’est « Déposés mes armes

Baissés mes défenses

Les crocs de tes charmes

Mordent les os de mes jambes

Mes chairs en otage

Et les neiges tombent » accompagné d’un rock qui sonne petit.

C’fait que le show a fini. Et puis j’ai entrepris la randonnée pédestre de 30 minutes qui me mènerait inévitablement à ma voiture ( et je l’espérais parce que c’est mon genre de perdre mon char ). Je marchais les mains dans les poches de mon veston bleu marin, en regardant par terre et en pensant à un livre de Karen Blixen qui est mentionné dans L’arrache-cœur de J.D Salinger.

Et là, un gars d’environ 26 ans avec une grosse Budweiser a interrompu mes réflexions.

–        T’es tu allée voir le show? qu’il me lance.

–     Lequel? Keith Kouna ou Jah and I? que j’ai demandé. Parce qu’il y avait aussi un band en première partie mais je l’avais manqué.

–        Quoi? qu’il dit.

–        Keith Kouna ou Jah and I?

–        Quoi? qu’il répète.

À ce moment-là il a échappé son paquet de cigarettes et pilé sur une d’entre elles. Pendant qu’il les ramassait, je me suis convaincue que ça servait à rien de redemander encore de quel show il parlait, qu’il comprendrait rien de toute façon, qu’il allait répéter encore son fameux « Quoi? » et ça me tentait pas de l’entendre une troisième fois.

–        Ouais je suis allée voir le show, que je reprends.

–        C’tait tu bon?

–        Ouais, vraiment, mais ça sonnait mal.

–        Ah…

Et là, j’ai menti :

–        En tout cas, moi je vais là-bas.

Et j’ai dit ça en pointant le Pub Limoilou. Je me suis dirigée vers la place et quand j’ai vu qu’il était rendu assez loin, j’ai repris ma route, mais sur l’autre trottoir. J’ai remis mes mains dans mes poches et là je pensais aux grosses fenêtres. Parce que j’aime ça les grosses fenêtres, encore plus quand elles donnent pas sur la vue. Dans vie, y’a rien qui m’impressionne moins que la vue. Pour vrai, je m’en contrefous. La preuve c’est que je marche toujours en regardant par terre.

C’fait que je marchais en regardant par terre. Et là, je suis tombée sur une paire de pieds qui étaient pas à moi. Deux pieds bien alignés et chaussés de petits escarpins rouges. J’ai levé le regard et j’ai vu une dame d’environ 70 ans, assise droite comme quand on se fait faire une piqûre contre l’hépatite A et qui fixait un arbre. Tant qu’à moi, elle fixait pas mal plus le vide que l’arbre. Aussi, elle tenait dans ses mains un vieux baladeur jaune et portait un petit casque d’écoute noir. Elle bougeait pas d’un poil. Mais le plus fascinant dans tout ça, c’était le sourire paisible qui dégageait ses traits.

J’ai alors fait la même analyse qu’avec les gens qui assistaient au show de Keith Kouna. Elle portait un pull beige, des pantalons noirs et des cheveux blancs, épais, coupés carrés et courts à la nuque. Tout d’elle faisait croire qu’elle écoutait du vieux Jazz, ou peut-être du classique moderne. En tout cas, rien de trop funky.

Finalement j’ai décidé de lui demander. Quand nos regards se sont croisés, elle a enlevé son casque d’écoute et m’a dit :

– Oui? – Bonjour madame, par simple curiosité, c’est quoi la musique que vous faites jouer dans votre baladeur? -Oh, c’est un vieux disque des Everly Brothers, elle répond. -Ah, vous les aimez beaucoup?

-Ben oui, je les aime. Mais c’est plus pour la sixième, Dreams, que j’écoute souvent sur repeat. Je sais, c’est bizarre mais c’est parce que c’est la chanson de mon mariage pis parce qu’a me rappelle des beaux souvenirs. T’sais, quand je l’écoute j’me revois quesiment danser dans les bras de mon mari, pis ça fait du bien. Parce que là, aujourd’hui, mon mari ben y’est malade, y’a l’Alzeihmer. Et je sais pas pourquoi, mais on dirait qu’il faut que je me rappelle ça pour lui. Pis t’sais c’est un peu pour moi aussi. C’est sûrement pour ça que je viens ici souvent. Mais bon, faut que j’y aille. Bonne soirée, fille.

La madame écoutait de la pop américaine des années 60. Et pas du jazz. Et pas du classique.

Comme quoi, il faut pas juger à la première impression. Ni à l’apparence. Pas plus qu’aux vêtements.

Alexe Raymond, réviseure, raymond.alexe@gmail.com

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