Dans un soubresaut, tout a changé. Tout allait bien ; t’étais là, on riait – on vivait. Ça n’a pris qu’une fraction de seconde pis t’étais parti. Tout serait différent, désormais. On ne te reverrait plus. On n’entendrait plus ta voix. On ne verrait plus ton sourire. On vivait, toi plus.
Un sentiment de mal de vivre. Avoir l’impression qu’on méritait plus que toi de partir ainsi. Regarder tes parents et baisser les yeux. Ne pas vouloir s’approprier leur deuil, mais avoir de la peine sans bon sens. Se dire que c’est pire pour ta famille. Ravaler ses larmes pour ne pas paraître too much. S’imaginer sans cesse la scène de l’accident, être horrifiée, avoir peur, avoir mal pour toi, se demander ce que tu as pu traverser, si tu as souffert, combien de temps. En vouloir au monde entier, tenter de comprendre pourquoi toi. Te regarder dans ton cercueil et ne vouloir que te serrer dans nos bras, vouloir t’entendre rire plus que jamais – je peux faire toutes ces niaiseries qui te faisaient rire si tu veux! Fais juste bouger le bout d’un doigt, s’il te plaît.
Tu n’as pas bougé. Tu ne bougeras plus.
Ta mère, ton père, ta sœur, ta famille au grand complet, tes amis, tous ici réunis pour toi, comme t’en aurais rêvé, si seulement tu avais été là pour changer les larmes en rires. Ça aurait été parfait… reviens-nous et ce sera parfait.
De retour chez soi, s’enfermer et pleurer toutes les larmes de son corps. Crier, serrer les poings, pleurer encore, prendre une douche, pleurer jusqu’à l’épuisement, s’endormir, cauchemarder, se réveiller en sursaut et se dire que ça ne peut pas être vrai. Tu vas être encore là. Tu ne peux pas t’évaporer comme ça dans la nature ; ta place est ici. Se rendre à l’évidence : tu ne seras pas là demain, ni les autres jours. Recommencer la ronde de pleurs.
J’aurais voulu trouver de meilleurs mots pour expliquer comment tout ça était horrible : les gens qui pleurent partout, tes amis qui te cherchent dans le vent, les messages textes envoyés à espérer une réponse qui ne viendrait pas.
Je voudrais te dire que tu manques à la vie de tous ceux qui t’ont côtoyés un jour ou l’autre, que ta présence était un baume sur nos cœurs, que tu étais toujours attendu, toujours le bienvenu – et que tu l’es toujours. Je voudrais te dire que ta présence dans nos rêves garde ta mémoire bien vivante et que tu dois continuer à nous y rendre visite. Je voudrais te dire que l’on te retrouve un peu partout autour de nous au quotidien. Au moindre signe, on pense à toi – de toute manière, on pense à toi chaque jour. Je voudrais te dire que le silence que tu as laissé est encore parfois intolérable et que ta famille ne passe pas une journée sans souhaiter ta présence à ses côtés.
Tu sais, la vie change à chaque minute, mais être en contact avec la mort aussi directement, par une personne de notre âge, c’est effrayant et ça ouvre les yeux. Rien n’est éternel ; nous ne sommes pas invincibles.
Dans un soubresaut, un fils, un frère, un petit-fils, un cousin, un ami, un chum s’est éteint. Ton absence définitive nous laisse tous sans mot. Dans un soubresaut, tous les « nous » que tu entretenais sont devenus des souvenirs que nous chérirons à jamais, comme un petit feu de foyer qui nous tient au chaud.
Source