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Téléréalités et rapports sociaux de sexe

Pendant le Bye Bye 2016, j’ai trouvé le sketch Féministes et nues dégueulasse… On shamait une fois de plus les féministes et les femmes comme si elles n’étaient pas assez ridiculisées comme ça dans le monde de l’humour et des médias en général. Par curiosité, j’ai décidé de regarder le pilote de la série originale : Célibataires et nus Québec. J’aime autant la culture populaire que les classiques. Dans la même journée, je peux lire Proust et regarder des vidéos de That Poppy. Finalement, j’ai écouté la série au complet, dans un mélange de fascination et de malaises perpétuels. Je vais analyser cette première saison avec vous.

Célibataires et nus Québec n’est pas vraiment une émission de dating. On dirait plutôt une publicité douteuse de piscine creusée ou de SAQ. Les candidat-e-s disent qu’ils et elles sont là pour vivre une nouvelle expérience et avoir du plaisir, mais rarement pour rencontrer. Dans le premier épisode, un candidat prononce un beau discours sur la nudité qui permettrait, selon lui, d’être plus authentique et réel. Cela m’a questionné. Quel est notre rapport au corps et à la nudité? Qu’est-ce que nous dit Célibataires et nus Québec sur les rapports sociaux de sexe et les archétypes du masculin et du féminin?

La téléréalité et la pornographie ont ceci en commun qu’elles sont consommées par un public très large, représentent des rapports sociaux de sexe et prétendent à l’authenticité. Célibataires et nus Québec alimente un désir de voyeurisme, un jeu de regards entre les sexes. Ce que l’on voit et ce que l’on ne voit pas est significatif. Par exemple, les seins masculins sont visibles, mais pas les seins féminins. Les parties génitales sont, quant à elles, toujours cachées. Tout le reste est visible, comme les fesses, les hanches, les jambes, etc. N’importe quelle partie du corps n’est-elle pas susceptible d’être érotisée? Qui choisit de sexualiser les seins des femmes et d’accentuer les gros plans sur les candidates si ce n’est un regard masculin hétérosexuel qui prend un peu trop de place dans la réalisation?

L’émission au complet pourrait être vue comme une imposture : les candidat-e-s ne sont pas réellement nus (pour le regard des téléspectateurs) et rien ne nous assure qu’ils et elles soient vraiment célibataires. Comme le souligne une candidate, les relations intimes et amoureuses sont diversifiées et complexes de nos jours. La catégorie « célibataire » est instable et laisse place à interprétation. Le candidat qui se vantait d’avoir fréquenté une vingtaine de filles dernièrement est-il célibataire de la même manière que l’autre candidat qui a pratiqué l’abstinence sexuelle pendant la dernière année? Cette autre candidate qui collectionne les aventures sur Tinder est-elle libre de tout engagement? Et cet autre candidat qui s’est révélé être un acteur pornographique et entretenir des aventures avec ses collègues? Le célibat dont il est question dans l’émission n’est certainement pas universel. Il sous-tend une vision du couple qui se veut « sérieuse », monogame et (principalement) hétérosexuelle. Or, il existe une panoplie de relations qui ne se limitent pas au célibat ou au couple traditionnel. Il y a bien un candidat qui déclare à sa première rencontre qu’il prône l’amour libre et la polygamie, mais il finit l’émission matché avec une candidate qui lui opposait un discours monogame. Bonne chance pour la suite?

Un autre problème dans les épisodes de Célibataires et nus Québec est le manque flagrant de diversité culturelle parmi les candidat-e-s. Le Québec n’est pas seulement blanc et en shape, disons-le. L’émission est aussi très hétéronormée. Quand deux candidates s’embrassent, c’est seulement pour exciter les gars hétérosexuels près d’elles. Quand une candidate demande à deux gars de s’embrasser, c’est représenté comme un acte drôle et pas du tout érotique. Après un petit bec sec, l’un des deux gars frappe dans l’eau avec son poing comme si sa masculinité était maintenant en péril. Ce double standard provoque le rire chez les autres, mais cette scène comporte une violence homophobe à peine voilée. C’est correct pour deux filles de s’embrasser parce que « on sait que vous êtes pas lesbiennes » dit un candidat, mais deux gars, c’est un non. On a encore du chemin à faire…

Que recherchent les candidats masculins de Célibataires et nus Québec chez les autres candidates? Les mêmes critères reviennent continuellement : une fille ouverte (mais pas trop), une fille assez mince (mais avec de gros seins) et l’épilation complète (une seule candidate a eu le malheur d’être restée au naturel; elle s’est fait solidement basher par les trois candidats en privé). Bref, les gars de la saison démontrent un idéal de féminité très normé et standardisé, cette image de magazine de la fille en série, parfaite, jeune, mince et irréelle. Les gars n’hésitent pas à demander aux filles si elles aiment le sexe, mais lorsqu’elles répondent avec franchise ou trop d’entrain, ou qu’elles parlent de pratiques sexuelles différentes (BDSM, fétichisme, etc.), les gars déchantent rapidement et affirment ne pas se voir en couple avec elles. La sexualité féminine séduit seulement les gars quand elle entre dans leurs paramètres phallocentriques à eux. Plusieurs candidats expliquent d’ailleurs leur célibat parce qu’ils seraient des personnes simples et matures en opposition aux filles chialeuses et difficiles d’aujourd’hui. Le contraste est frappant et réducteur. L’identité masculine traditionnelle se crée ici en infériorisant les femmes, alors qu’aucune candidate ne se place au-dessus des hommes pendant la saison.

Je ne sais pas si « téléréalité » est un bon mot pour décrire Célibataires et nus Québec. Ce que l’on voit n’est qu’une mince partie de la réalité. Il n’y a pas de diversité des corps ni de l’expérience humaine. La série réussit parfois à divertir en proposant des couches successives de stéréotypes et d’anecdotes souvent gênantes. À quand une téléréalité drôle et intelligente qui propose une diversité d’identités de genres, de pratiques sexuelles et de types de relations? Les téléréalités sont l’un de mes plaisirs coupables, mais j’ai hâte qu’on nous propose autre chose que les normes dominantes.

Parodie de l’émission par Lili Boisvert et l’équipe de SEXPLORA :

Source photo de couverture

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