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Anatomie d’une B.A.

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« J’ai fait ma B.A. de la journée! » Combien de fois a-t-on entendu ça? « Ma » B.A. au singulier… Qui a eu l’idée de quantifier nos bonnes actions? C’est un peu contraignant de penser qu’il faut en faire une par jour. D’ailleurs, qu’est-ce qui différencie une bonne action d’une action neutre, disons? Sans vouloir me perdre dans un débat philosophique, on peut s’entendre sur le fait qu’une bonne action est une action qui a pour conséquence le bien (merci, Captain Obvious). On dit aussi qu’il est impossible de faire une bonne action qui soit désintéressée, c’est-à-dire que chaque fois que l’on fait quelque chose de bien, c’est pour se faire plaisir soi-même, au fond. Phoebe et Joey, dans un délicieux épisode de Friends (intitulé The One Where Phoebe Hates PBS) débattent d’ailleurs sur le sujet. Les philosophes, quant à eux, se sont interrogés (et s’interrogent encore, j’imagine) à savoir si ce plaisir faisait diminuer la valeur de cette action.

Ben moi j’ai décidé que non. C’est sûr que ça nous fait sentir bien de faire le bien : on traite toutes les informations reçues avec notre cerveau et notre cœur. C’est grâce à ces deux bestioles-là d’ailleurs qu’on éprouve la compassion et l’empathie, non? Et c’est grâce à notre capacité d’empathie que nous éprouvons la motivation de faire le bien. Puis, je pense que si une action fait deux heureux plutôt qu’un seul, c’est encore mieux.

Disséquons un peu une action dite « bonne ». Son principal organe est le cœur, qui se retrouve sur la main et qui voyage ensuite jusqu’au cœur d’un récipiendaire. Son oxygène est le besoin et ses poumons l’inspirent pour en expirer de l’aide. Les yeux et le sourire sont d’une importance capitale dans l’exécution de l’action. La B.A . est une de ces choses qu’il est possible de donner sans s’appauvrir.

Pas toujours obligée d’être monumentale. Les petites B.A. ont l’avantage de pouvoir être fréquentes. On ne peut pas toujours héberger un réfugié syrien chez soi, mais on peut souvent tenir la porte à la voisine qui entre avec son épicerie. Ou aider une vieille dame à trouver son chemin en cherchant sur Google Maps, même si ça bouffe nos données cellulaires. Ou dire « Bonne journée! » en souriant à la personne qui dort dans l’entrée du McDo soir après soir, en la regardant dans les yeux, en offrant simplement sa bonne humeur et sa sincérité. Les gestes du quotidien sont tellement sous-estimés. Un merci. Un putain de sourire. Juste écouter quelqu’un, sans nécessairement donner son opinion ou un conseil (j’ai ben de la misère à faire ça, moi qui adore les solutions).

Dans ma vie, j’ai été graciée de maintes bonnes et belles actions, qui sont souvent arrivées dans les moments où j’en avais besoin, mais sans le savoir. Allons-y pour une anecdote.

J’arrivais en Irlande, seule avec mon pack sac et mes 22 ans. C’était décembre. La pluie torrentielle avait fait danser le Irish Ferry qui m’avait transportée depuis la côte écossaise et m’avait donné le pire mal de mer. Sur le bateau, j’avais fait la rencontre de Rose, une beauté adorable typiquement british. Nous avons partagé mes Gravol et discuté pendant les quelques heures de la traversée. En accostant, elle m’a donné les indications nécessaires pour me rendre à la station d’autobus. Dans la file, j’ai remarqué un garçon qui marchait derrière nous. Il était roux, ne paraissait pas plus âgé que moi, avait des lunettes et transportait une guitare. Au moment de me séparer de ma nouvelle amie, il s’est approché, l’air terriblement gêné, et m’a dit que son père venait le chercher à la station d’autobus. Il pourrait m’embarquer aussi et me déposer à mon auberge de jeunesse, c’était sur leur chemin. Il avait entendu des bouts de ma conversation avec Rose, semblait-il. Il n’a même pas essayé de s’en cacher. Il me proposait de l’aide, simplement comme ça. J’ai réfléchi quelques secondes, mais un simple coup d’œil à la pluie et le poids de mon sac m’ont vite fait accepter son offre. Nous avons attendu quasiment en silence. Il n’était pas très bavard. Son père, un magnifique silver fox irlandais, est arrivé et a accepté de m’embarquer sans hésiter. En chemin, il m’a renseignée sur les rues que l’ont passait ainsi que sur les détails d’architecture spécifique des jolies maisons dublinoises. Arrivée à mon hostel, je les ai remerciés chaudement avant de leur dire au revoir.

Mon père m’aurait chicanée d’avoir accepté d’embarquer avec des inconnus, mais mon instinct me disait qu’il n’y avait rien à craindre. Me serais-je rendue à ma destination sans l’aide du mignon rouquin et de son papa? Probablement. Trempée et en deux fois plus de temps, certes, mais tout de même rendue. Ce que je n’aurais pas vécu, c’est ce contact humain. Folle amoureuse des symboles, j’y ai vu l’Irlande qui m’ouvrait grands les bras. Les cyniques diront que le gars a vu une fille toute seule et qu’il avait des idées derrière la tête. Moi je dis que ce jour-là, il a fait une bonne action simplement parce qu’il a vu une possibilité de le faire, sans se dire qu’il en faisait une.

À mon avis, quantifier les bonnes actions les dénature. Il y a une citation du très, très beau film Her de Spike Jones qui m’a beaucoup marquée : « Le cœur n’est pas comme une boîte qui se remplit; plus on aime, plus il grossit. » Notre bonté n’est pas sur crédit, ni sur commande. N’en soyons pas avares.

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