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Je l’ai écoutée mourir, doucement – Par Noémie Doyon

Ma mère ressemble à Amélie Poulain.

Dimanche après-midi dernier, elle est arrivée à la maison avec cinq pyjamas one piece blancs avec des étoiles bleues et une poche derrière pour aller aux toilettes.

Le soir même, c’était ma mère, mon frère, mes deux sœurs et moi, au chaud et aux anges dans nos pyjamas à pattes respectifs, assis devant la télévision à regarder Éric Lapointe donner des bagues à du monde qui chante.

Que de cheveux fraîchement lavés, de corps qui sortent du bain, d’odeur de lasagne en digestion et d’amour qui goûte la Caramilk.

Ma mère ressemble pas physiquement à Amélie Poulain.

Elle a pas les cheveux noirs coupés carrés et un solide problème de timidité. Elle est coiffeuse et extravertie. Elle a les cheveux blonds, elle porte du rouge à lèvres rose, elle préfère les talons hauts et son étui d’iPhone brille plus fort qu’une pluie d’étoiles filantes au mois d’août dans un champ de fraises.

En fait, ma mère ressemble à Amélie Poulain parce qu’elle voit la vie autrement.

Quand j’étais jeune, j’aimais les bonbons, mais pas l’Halloween. Marcher dehors pendant des heures à cogner chez des inconnus qui donnent des bananes et des chips, ça me branchait pas. Alors, avec ma mère, on partait en voiture et on allait chez les grands-parents, chez les oncles et les tantes, chez les cousins et les cousines, puis chez Rachel.

Les visages me marquent que lorsqu’ils m’évoquent une émotion. Je me rappelle le sien parce qu’il respirait la chaleur, la bonté et le sucre.

Rachel donnait toujours dix dollars et 2 grosses palettes de chocolat.

Et elle gardait son cancer pour elle toute seule.

Personne n’en savait rien. Elle refusait tous les traitements. Ses habitudes restaient les mêmes, sa vie et son monde aussi.

Jusqu’à ce que ça s’aggrave. Jusqu’à ce qu’elle ait plus le choix de le donner aux autres un peu.

Rachel a été admise à la Maison Michel-Sarrazin, il y a environ deux mois.

Plusieurs fois par semaine pendant ces deux mois, je voyais ma mère partir avec ses peignes, son fer et ses produits. Rachel était une femme fière, d’une élégance que peu comprennent, et ma mère le savait.

Elle revenait quelques heures plus tard, à la fois triste et soulagée. Elle parlait dans les airs, faisait un compte-rendu de sa visite, plus pour elle-même que pour moi. Puis, ma mère rangeait ses armes, ses brosses et son séchoir, mais jamais très loin.

Elle retournerait demain.

Et ce, jusqu’à ce que Rachel meurt, amaigrie et frêle, mais belle toujours, un certain dimanche de décembre.

Quand ma mère a appris la nouvelle au téléphone, elle a poussé un soupir.

Un soupir serein.

Rempli d’amour et de souvenirs.

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