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L'apport de l'inconnu

Source: Pixabay

Un jour d’octobre, j’ai eu du temps de lousse, du genre « Je l’ai su à la dernière minute ». Activité annulée.

Du temps à tuer. Tuer pour l’éliminer. Attendre qu’il passe sans pour autant rien faire.

Pas que le temps soit malin ou méchant, mais disons qu’à ce moment, mon état d’âme ne pouvait supporter de seulement le regarder filer.

Le temps est plus souvent bon.

Bon comme dans : « On a eu du méchant bon temps. » Mais pour ma part, ça datait d’il y avait de ça pas mal trop longtemps.

J’avais du temps libre, un espace donné bien malgré moi, que je pouvais combler à mon gré. Moi qui me plaisais bien dans un horaire surchargé qui fait que ça t’évite de trop penser.

Du temps à me demander : « Qu’essé que j’ferais ben pendant ces deux heures-là…? »

Comme si ça existait, deux heures de trop, étant donné que du temps, on en manque tout le temps pour tout. Avec du temps de trop à dépenser, tu t’attends pas à un projet ben excitant. Souvent, j’attends juste qu’il passe, le temps, quand j’ai juste envie de rien.

Mais pas à ce moment-là.

Ça n’allait pas bien. Tellement pas bien que je ne voulais pas passer du temps seul avec moi. Fallait que je m’entoure de peu importe quoi, mais pas de n’importe qui.

Faque avec mon temps à éliminer, je me suis dit : « Y fait beau, y a un bois pas loin, j’vais aller marcher. »

Je ne suis pas un marcheur naturel dans le bois. Faut souvent m’y amener. Me le demander 2-3 fois au moins. Presque me traîner de force.

Le plus longtemps que j’ai marché dans le bois, c’est dans l’allée des bâtons à l’Entrepôt du Hockey.

Mais, pis ça me fait ça à c-h-a-q-u-e fois, un coup rendu entre les conifères et les feuillus, j’me sens bien, très bien. J’me rappelle que je suis bien entouré d’arbres, de feuilles pis de gens que tu croises dans le sentier à essayer de deviner si c’est du genre à te saluer d’un p’tit signe ou si tu vas être seul à y aller d’un mouvement de tête sans rien avoir en retour. Je suis très attentif à ça et encore plus cet après-midi-là.

J’ai donc eu ma part de p’tits signes de tête qui me réconfortaient. Pis j’crois pas que c’est la proximité de se croiser qui crée ça. On salue pas chaque personne dans l’allée à l’épicerie.

C’est l’air frais, la nature et l’activité physique qui donnent cet effet.

Donc, j’ai marché, marché et encore marché. Tantôt consciemment, souvent inconsciemment, perdu dans mes pensées.

J’ai dû marcher au total un bon trois heures. Les mêmes deux heures que j’avais à tuer plus une autre heure à me demander : « Ben voyons, chu rendu où, moi, là ? »

Pas de montre, pas de téléphone, juste moi avec moi, donc j’ai pas regardé l’heure une fois et j’ai jamais été scout, donc je ne pouvais pas dire s’il était à peu près 15 h 30 dû à l’inclinaison des feuilles un peu pliées d’un peuplier.

Je me suis donc aventuré dans le sentier et au bout d’une heure de marche quand même rapide, un banc m’a dit : « Viens donc t’assoir, t’as une crampe. » Faque chu allé. Surtout que la vue en valait à elle seule largement la peine. Une vue qui t’en met plein.

Au bout de cinq minutes, un groupe de marcheurs, de vrais marcheurs professionnels (y avaient des bâtons de marche) se sont amenés à mes côtés et un monsieur du lot au regard brillant et à la chevelure grisonnante s’est mis à me fixer. Pas fixer dans le style : « Chu entrain de pogner le fixe. » Pas du tout. Une fixation constante, mais surtout malaisante.

Après avoir croisé trois fois son regard, le voyant toujours me fixer, je lui ai souri, question de combler son manque d’attention ou son besoin évident de voir si on se connaissait. Il m’a souri. Il est venu s’assoir à côté de moi et il m’a dit : « Ici, tu peux trouver toutes les réponses que tu veux. »

Moi : « Quoi ? »

Lui : « Oui. Si t’as une interrogation dans la vie, trouve-toi un bois et pose ta question pis t’auras ta réponse. Bonne journée. »

Il s’est levé et est allé rejoindre son groupe. Ils sont repartis quelques minutes plus tard.

Là, c’est moi qui ai pogné le fixe. J’ai comme eu une chaleur en dedans. Un sentiment indescriptible. Assez spécial. Pas un autre membre du groupe ne m’a salué ou parlé sauf lui, facilement septuagénaire.

Je l’écris pis j’entends encore sa voix. Ma crampe toujours présente et moi, on s’est levés pis on est repartis. Le temps n’existait plus. Je marchais comme quelqu’un qui n’a pas de destination. Je ne reconnaissais plus la route boisée. J’en ai pas trop fait de cas, j’étais pas tout à fait là et déjà en retard sur le reste de ma journée anyway.

Qu’est-ce que c’était que ça ? Qu’est-ce qu’il venait de m’arriver là ?

Pour être honnête, ça m’a perturbé. Des questions, je m’en pose tellement que faudrait que j’me construise une cabane dans le bois pour pouvoir toutes les poser. C’est juste pas mon genre, parce que s’il le fallait, ce serait ma nouvelle réalité.

Par la suite, j’ai souvent, dans ma tête, remercié ce monsieur qui jusque-là m’était inconnu pour ces mots qui m’ont ô combien frappés drette au cœur. Des fois, c’est tout ce que ça te prend, des mots simples et bien placés à un moment où t’as besoin de les entendre.

Dans les jours suivants, j’me suis mis à le fréquenter à nouveau, le bois. C’était d’ailleurs la seule fréquentation que mon état pouvait se permettre.

On en a tous, des mauvaises passes pis des remises en question. Fais confiance à la nature, aux gens, mais aussi à toi. T’as pas mal toutes les réponses aux questions que tu te poses. Puis si tu les trouves toujours pas, va marcher dans le bois, tu trouveras à tout le moins le temps de te retrouver avec toi.

On ne le prend pas suffisamment, le temps.

Pourtant, il est toujours là. Il fait son cycle, jour après jour, saison après saison, année après année, sans faire de bruit, toujours au rendez-vous. Il était là hier, il est là présentement et si on le prend aujourd’hui avec soin et précaution, il sera là demain. On a toujours le temps, mais encore faut-il vouloir le saisir. Des deux, ce n’est jamais lui qui est indisponible.

Ce jour-là, alors que j’en avais grandement besoin, j’ai reçu ce commentaire inattendu de cet inconnu.

J’avais du temps à tuer, mais c’est plutôt du temps pour commencer à renaître que j’ai trouvé.

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