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Les chachattes (poilues)

Dimanche, ça allait pas. Y’a des dimanches de même où je suis submergée par la semaine qui vient de finir. Et où j’ai même pas un petit temps mort tampon pour me remettre. J’imagine qu’on a tous des journées de même – même si j’ai une nature qui semble attirer ça – pis j’me sens un peu moins seule dans mes affaires.

Seule parce que les personnes que je voudrais avec moi sont justement celles qui me font sentir le plus seule en ce moment. La vie la vie, quoi.

Pis Camille est arrivée, de même, pis en enlevant son manteau, elle m’a demandé si ça allait. J’ai dit non alors que j’aurais dit oui à combien d’autres personnes juste pour avoir la paix. Mais pas à elle. Avec elle (elles), j’ai appris à tout dire, de même, sur le fly, sans tabou. On joue toujours franc jeu. J’ai vidé mon sac alors qu’elle s’assoyait à table avec moi. Elle m’a dit que c’était pas de ma faute – même si c’était de ma faute. Elle m’a dit de tout laisser – même si je persiste encore à vouloir rester.

Puis Camille est partie : elle a pris sa pause, dix minutes après son arrivée, pour aller chercher du thé. Du thé à la fraise. Pis même si ma gérante a pas compris, qu’elle pouvait pas savoir, que Camille a eu droit à un regard de reproche, c’était le meilleur thé à la fraise de tous les dimanches de tous les temps.

J’me suis dit que ça valait la peine d’aller mal, pour aller aussi bon-et-bien que ce thé-là, avec elle.

***

Y’a Camille M. pis son alter ego, Camille J. Ou c’est l’inverse. Y’a Anne. Et y’a la grande Catherine.

Ces filles-là, ce sont les filles de ma job. Elles sont au cœur de mes semaines et hors de mon monde, de mes autres amis : j’veux les garder intactes. Propres et sans histoires – même si on s’en fait plein.

***

Ces filles-là, y’ont vu mes fesses, mes cuisses, mes seins sous un éclairage au néon, dans une cabine à 6 miroirs. Y’ont vu plus que certains de mes chums. Y’ont vu ça, avant même de connaître mon domaine d’étude, ma date d’anniversaire, pis de savoir si j’avais des frères et sœurs.

J’imagine que c’est difficile, après ça, de ne pas devenir amie-et-intime, avec ces filles-là.

***

On passe près de quarante heures par semaine à nos jobs. On y passe, chaque semaine, plus de temps – éveillé? – que chez nous.

On y voit nos collègues et nos patrons, plus souvent que nos amis et notre famille.

On ne s’en rend pas compte. La job, c’est une deuxième maison. Pis une deuxième famille.

***

« Chachatte », c’est mon expression. C’est moi qui l’ai rendue populaire. C’est un terme fourre-tout qui oscille entre l’allumeuse-ploplottefan-de-lingerie pis la crazycatlady-vieille-fille-avec-sa -tire-Sainte-Catherine.

Un doux compromis qui peut toutes nous rallier.

Avant les chachattes y’a eu les « perdrix sexy ». J’imagine qu’à ma job, c’est devenu une coutume d’avoir un club, un club avec des noms d’animaux.

Non, en fait, je refuse le mot club autrement que dans l’expression : clubber entre chachattes. Dérivé de l’anglicisme clubbing. Beaucoup plus près de l’essence même de la chachatterie.

***

J’suis allée porter mon CV là-bas, un dimanche matin, en 2012. J’avais mis ma cape verte et mon chapeau à large rebord en essayant de me croire assez bien pour du haut-de-gamme-de-même. J’connaissais rien en lingerie, mais j’avais besoin d’une job. Les Camille travaillaient ce jour-là. Y’ont pris mon CV pis la première impression a pas dû être trop pire parce que, le lendemain, je passais une entrevue avec une grosse gueule de bois. C’était en 2012, faut se remettre en contexte. 2012, c’était une grosse année de boisson.

Reste que j’ai été embauchée.

***

La journée où Catherine a été embauchée, j’avais pas mes lunettes. Elle aime bien me rappeler mon air bête de fin du monde. Ça y’a pas donné l’goût plus qu’y faut. Mais après ça, elle a pas eu le choix. Elle a pas eu le choix de m’aimer comme je l’ai aimée.

La première journée d’Anne, elle attendait dehors l’ouverture de la boutique. Pis Catherine s’est pointée. Pis elle lui a dit quelque chose comme : y’a une nouvelle gérante. J’espère qu’elle sera pas trop… tu vois? Catherine. Nouvelle gérante. VDM.

Deux nouvelles filles, c’était un grand bouleversement pour les Camille pis moi. Reste qu’il y a chez elles, chez Anne et Catherine, quelque chose de profond et vrai, qu’il n’y a pas naturellement en moi : l’ouverture à l’autre. Même si elles tentent de vous faire croire le contraire.

Ça prend pas Minifée pour voir qu’on est TELLEMENT différentes : dans nos façons de penser, dans nos modes de vie, dans nos domaines d’études, dans nos relations avec les hommes, dans nos intérêts, dans nos looks. Pis c’est même pas un problème : on s’en félicite. On est les nouvelles 4 filles et un jeans. Sauf qu’on est 5 – pis que sur cette photo-là, on porte une robe.

***

C’est dur de tricher à la job, de vraiment laisser au seuil de la porte ses humeurs et ses peines. C’est possible de faire semblant avec un client que tu ne connais pas. Au pire, il va penser que t’es au ralenti ou qu’t’as un air bête de scotché dans face. Mais j’arrive pas à ça, pas avec mes collègues. Pas 40 heures par semaine.

Tu peux pas rompre avec ton chum, pis arriver le lendemain top shape.

Tu peux cacher ta gueule de bois, ton bad trip de la veille, ton envie de vomir, pis ta fatigue.

Tu peux pas cacher ton rush de session, l’urgence d’un travail d’école, le stress de recevoir une note.

Avec le temps, on a appris à tout se dire, à compenser les unes pour les autres. On a dépassé le cadre de nos fonctions de collègues par empathie et inquiétude. Par affection, surtout. À poser, pour les autres, des petits gestes qui allègent certains jours et certaines semaines, sans colère, et sans amertume. Tranquillement, entre nous, une solidarité muette et tacite s’est installée.

À présent, elle est immuable et nous dépasse. Avant tout le reste, nous sommes des amies.

***

– Toi, c’est facile, tu as une meilleure amie! Moi, j’ai surtout des amis de gars qui savent pas trop quoi faire de moi quand je suis en crise pis que je braille.
– Non, attends, tu vas voir, c’est facile.

Elle a pris un boutte de papier de l’imprimante de la caisse. Pis elle a fait un plan.

– Tu vois les X, c’est nos maisons. Pis si tu les relis ensemble, ça fait un triangle.

J’ai ri de cette évidence et de ce cours de géométrie du dimanche après-midi.

– Nous, on est là.

Sur chacune des lignes reliant nos petits-apparts-en-X, elle a fait d’autres marques.

– Pis ça tu vois, c’est les dépanneurs. Ceux des Chinois pis le Bonichoix. Tu vois! Y’aura toujours nous pis des bouteilles de vin pas cher, peu importe la direction que tu prends.

Peu importe, elles seraient là. Pas compliqué de la géométrie d’même.

***

C’est facile de ne pas aimer son travail, de trouver à se plaindre de ses horaires et de ses patrons – un mauvais classique —, des changements qui surviennent, de trouver que certaines décisions sont complètement irrationnelles.

C’est facile de trouver du négatif dans tout. J’le sais. J’ai ce talent-là dans vie, notamment, et c’est pas celui dont je suis le plus fière. Que j’ai hâte que le soleil revienne pis que le blues de l’hiver me quitte un peu. Reste que, cette année, je m’efforce d’être reconnaissance, de rendre grâce à ce qui me fait du bien quand je fais trop ressortir le mauvais.

Pis, ce bien-là, depuis le début de l’année, je le dois aux filles de ma job.

Puis, même si Cath ne travaille plus avec nous, j’peux la compter encore dans mes semaines. Elle reste à quelques coins de rue de nous, à un café de distance et de conversation.

On a toutes nos vies. Mais reste qu’y’a quelque part dans notre conversation Facebook-de-chachattes, nos insides, nos rages, nos dramas, nos espoirs pis nos incompréhensions, pis beaucoup d’émoticônes de chats et de cochons. Y’a nos murs Facebook où on se tague sur quelques photos ou vidéos.

Y’a quelque chose qui reste vivant entre nous, même dans l’absence.

Avec elles, grâce à elles, j’arrive à accepter des situations qui ne sont pas des évidences. Ensemble, on accepte de traverser un quotidien qui connaît son lot de variables.

Avec elles, j’ai hâte à mes journées de travail pour les retrouver. J’ai hâte à nos décrochages inévitables du jeudi après-midi – un classique sur des hits des années 2000.

J’ai hâte à demain pour les revoir encore. Hâte à dimanche prochain. Lasagne, vino, chachattes, linge mou et moche.

Cheers and amen, à vous, mes petites chachattes poilues.

Photo de couverture : source

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