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L’illusion référentielle

Si la populaire série télévisée Game of Thrones, née sous la plume de Georges R.R. Martin, attire autant de téléspectateurs, ce n’est pas seulement grâce à ses scènes de violence barbare, de torture et de nudité sans ménagement.

Si cette production se démarque au-delà de ses compétiteurs, c’est bien dans son aisance à disposer de ses personnages, au plus grand désespoir de ses fans. Les personnages faisant partie de la distribution initiale qui sont encore en vie au terme de la sixième saison se comptent quasiment sur les doigts des mains. Fait cocasse, le protagoniste principal ayant été zigouillé dans la cinquième saison fût ramené à la vie quelques épisodes plus tard. Peut-être bien que les producteurs avaient finalement succombé aux protestations.

Enfin, là où je veux en venir, c’est qu’une partie de l’intérêt qu’on porte à Game of Thrones est dûe à l’attachement qu’on ressent envers les personnages de cette série. Et lorsqu’un d’eux, qui nous tenait à cœur, est brutalement exécuté, une colère s’empare de nous, si ce n’est pas un sentiment d’anéantissement, et c’est encore peu dire. Dès lors, les internautes se sont empressés de diffuser des recommandations sur Internet, suggérant de « ne pas s’attacher à aucun personnage, car ce ne sera pas long qu’il va (littéralement) perdre la tête ». Cependant, que cela soit au gré ou à l’encontre de notre volonté, ces personnages constituent l’essence de la série et sans eux, on ne se retrouve qu’avec un cadre spatio-temporel vide en phase avec bien des caractéristiques de l’univers fantastique typique – l’époque médiévale, les combats à l’épée, la magie et les dragons (quoique saupoudrée à la HBO) – vous voyez le genre. Et cette ressemblance, c’est justement ce que les producteurs de séries tentent d’éviter. Et cela, je parie que notre cher Georges le savait très bien ; par l’intermédiaire de sa série, il a démontré une excellente maîtrise de ce qu’on qualifie en littérature d’illusion référentielle.

L’illusion référentielle pourrait être définie comme le moment où l’on commence à confondre le contenu d’une forme d’art avec la réalité. Que cela soit dans les romans, au cinéma, à la télévision ou au théâtre, il nous arrive fréquemment de nous sentir empathiques envers un personnage, bien que nous sommes parfaitement conscients que celui-ci n’est pas réel. Et pour que cela se produise, il n’est pas nécessaire que le personnage possède une forme humaine (on peut penser aux films d’animation mettant en scènes des animaux, des robots), ou que ses comportements soient ancrés dans la réalité ; il suffit que celui-ci adopte des comportements humains, et le tour est joué. Cela permet au lecteur de se projeter dans la peau du personnage, à comprendre et vivre ses émotions à sa place, à être sensible à ce qui lui arrive.

Autrement dit, le lecteur injecte dans le personnage une dose de sa propre personne, notamment en y intégrant ses propres émotions et craintes pour vivre avec lui ses aventures, et même carrément vivre ces aventures à sa place. Dans une livre ou un film bien fignolé, on va ressentir un sentiment de stress lorsque le personnage principal affronte des dangers, et un serrement au coeur lorsque celui-ci sera exposé à une situation mélancolique. Ça ne vous est jamais arrivé de pleurer simplement parce qu’un protagoniste pleurait lui aussi dans le film, ou dans le roman? Eh bien moi, si. Voilà donc toute l’essence de l’illusion référentielle, qui exploite à merveille cette si belle capacité faisant de nous tous des hommes : l’empathie.

Curieusement, ce phénomène peut se produire même si les valeurs des personnages en question ne concordent pas tout à fait avec les nôtres, ou sont difficilement justifiables moralement. La plupart du temps, le médium va alors s’efforcer de vendre les actions du protagoniste comme compréhensibles, comme c’est le cas dans le film Inception, mettant en scène un protagoniste chargé de « pervertir » le dirigeant d’une multinationale (qui n’a rien fait de malsain) en pénétrant dans son subconscient. Si l’on ressent de la compassion envers lui, c’est parce que le film le présente aussi comme le père de deux enfants dont la garde lui a été retirée – la seule façon de les retrouver étant de réussir sa mission. Force est de constater que ce phénomène va également se manifester dès l’enfance – à un jeune âge où l’on ne peut distinguer encore la fiction de la réalité. On peut penser aux contes et aux films de Disney, le désir d’une jeune fille de devenir une princesse ne faisant qu’amplifier son attachement envers les princesses vivant d’extraordinaires aventures sur le grand écran. Ce n’est pas pour rien que la plupart des protagonistes des films Disney ont tous un jeune âge.

Ainsi, le blâme que l’on pourrait porter sur l’influence de l’illusion référentielle revient finalement sur nous-mêmes, car c’est nous, par l’intermédiaire de notre imagination, qui accentuons la charge émotive et le poids des actions des personnages fictifs sur notre conscience. On ne réalise pas à quel point ces personnages peuvent devenir nos amis, et peuvent faire l’objet de désirs amoureux. Tout comme un vrai ami ou un vrai partenaire, on se met alors à justifier leurs moindres actions sans jugement, et à vivre leurs moments de joie et de tristesse avec eux.

Le meilleur exemple que je peux trouver à ce sujet est le phénomène Harry Potter. Les fans qui ont grandi avec cette saga sont indéniablement « victimes » d’une considérable illusion référentielle – et je m’inclus dans cette catégorie. En lisant les livres et en regardant les films à mesure qu’ils étaient publiés, on avait l’impression de grandir avec eux, de vivre chaque année à Poudlard en leur compagnie. Pour beaucoup d’entre nous, Harry, Hermione et Ron étaient devenus nos « amis », et lorsque leur vie était en danger, on se sentait alors immédiatement menacés, ou du moins concernés à notre tour. Il s’agit là d’une prouesse que peu de sagas cinématographiques ont réussie à reproduire… peut-être pour le mieux.

Par Foan Song

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