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Ma peau, ton costume

Au calendrier d’octobre on devrait ajouter une case spéciale pour « La journée mondiale de la sensibilisation face à l’appropriation culturelle ». On pourrait instaurer ce férié juste avant l’Halloween et s’assurer ainsi que tout le monde puisse faire des post Facebook, mettre un filter sur sa photo de profil, en parler, en débattre et s’informer sur le phénomène qui mérite sérieusement de l’attention et de l’ouverture d’esprit…

Directement cultivée par  l’éducation et les médias sociaux, fièrement ensemencée pour une moisson de préjugés stéréotypés, organisme génétiquement modifié par la double ignorance… L’appropriation culturelle a fait de l’Halloween son mets favori. Présente dans la mode, la musique et plusieurs facettes de la vie, la dépossession avale ses proies une transformation culturelle à la fois. Un costume inapproprié à la fois.

Je tiens à préciser que ma vision et mon opinion du principe s’est définie et, je l’espère bien, assagie. Cela ne sert à rien d’être extrémiste et cela nuit grandement à la communication d’idéaux moraux. Je ne suggère pas de brûler les jeunes qui personnifieront maladroitement les Hawaïens ou encore les Chinois, comme le feraient les sorcières de Salem… Je mijote toutefois l’idée d’attacher les parents et les grands enfants qui, comme moi, ont décidé de célébrer Halloween ad vitam aeternam et d’en profiter pour leur faire un petit discours sur le sujet! Sujet qui fait hurler ma conscience à en donner la chair de poule à l’ignorance. Pour moi, se déguiser c’est se vêtir et se maquiller de façon méconnaissable dans le but de ressembler à quelqu’un d’autre ou à quelque chose d’autre. C’est réalistement possible dans le respect, non? J’en conviens qu’il est très agréable de pouvoir se glisser dans un bal masqué fantaisiste, mais une culture n’est pas le fruit de l’imaginaire. Elle existait, elle existe, elle respire à travers des êtres bien vivants et leurs ancêtres. Leurs peaux n’est pas un costume.

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Je suis une minorité visible. Mes cultures d’origines transparaissent dans mes traits, trahissant ma différence et mon unicité parfois homogène à l’œil nu dans certains groupes. Je connais trop bien ce sentiment créé par le jugement de l’apparence avant le premier contact. Peut-être cela justifie pourquoi mon corps se raidit quand tu m’annonces que tu  te déguises en « mama afwika » et que tu comptes te mettre une fausse peau de lion sur le dos, une poupée noire dans un bras et un os dans le nez. C’est offensant! Sonnez chez mon père le visage peinturé de  noir avec une perruque en forme d’afro et osez me dire qu’il devrait rire et donner des bonbons… Le gros bon sens nous a-t-il désertés à ce point? Ne me dites pas que c’est du deuxième degré, il y a longtemps que les blagues de mauvais goût ont cessé d’avoir de la classe. Ne justifions pas cela par un besoin d’exprimer de l’admiration pour une culture; l’usage de cliché n’a jamais donné de dignité à rien ni personne. T’approprier ce dont tu n’as pas réellement l’expérience, c’est dépersonnaliser autrui. Ma peau n’est pas ton costume. Faute de lectures, discussions et apprentissages, ma naïveté généreuse et facilement encline à la rigolade freine désormais avant la frontière raciste de ce type de mépris. Là où certains voient un beau costume « d’Indienne »  à la Pocahontas et s’imaginent arriver à la célébration en petits mocassins, plume à la main… Je vois cette image dégradante encourageant la dévalorisation possessive de la femme autochtone. Ma raison se remémore quelques noms de celles qui combattent au quotidien ces cercles vicieux de vulnérabilité générationnelle. Ces femmes sachant fièrement protéger  leurs traditions malgré le danger omniprésent d’être harcelées, battues, enlevées, violées, tuées. Ainsi, pendant que certains hésitent entre 2 tresses ou une perruque de longs cheveux noirs, je me questionne. S’ils savaient? Savent-ils qu’un costume irrespectueux a un impact sur la vision culturelle et sociale de groupe d’individus? Et s’ils savaient, se déguiserait-il autrement? Je souhaiterais qu’un jour oui. Sinon, j’ai bon espoir que, s’ils tiennent à leurs concepts dur comme fer, au moins ils le feraient fidèlement comme certains le suggèrent. Même l’habit de tradition, trop souvent mal représenté, reflète injustement de bonnes intentions. Tout le monde est libre de choisir son option et d’avoir son opinion selon moi.

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Je n’ai pas toujours vu la veille de la Toussaint comme le festival de la banalisation culturelle. Ma famille a grandement encouragée chez moi l’épanouissement d’une passion pour l’Halloween. J’ai toujours été plus excitée à l’idée d’un nouveau costume qu’à celle du plus beau des cadeaux de Noël. La fin d’octobre rimait et rime encore avec le pouvoir de me transformer au bon vouloir de mon imaginaire et d’obtenir des millions de bonbons (oui-oui autant). Fée/oiseau, ninja, Batman, princesse, reine du disco, Kiss, encore Batman… j’ai eu la chance d’avoir des parents n’associant pas les personnages à l’identité de genre et laissant ma créativité débordante teinter cette occasion spéciale et je les en remercie. Cependant, ils m’ont aussi appris à m’identifier et à respecter ma culture et celle des autres. Ainsi, aujourd’hui, si ma gang de filles proposait de se déguiser en femme voilées version sexy, je leur expliquerais pourquoi c’est inapproprié…  De plus, ce n’est pas le choix qui manque dans le costumier! Trouvons-y un costume, pas une peau.

Moi en fée/oiseau, crédit photo: Oumar N’diaye et Christine Bastien

P.-S. On fait les Spice Girls cette année ?

Par Aïcha Bastien N’diaye

Source photo de couverture

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