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« Maman, je veux être philosophe »

Être étudiant en sciences sociales, aujourd’hui, signifie que tu devras lutter, te justifier quotidiennement pour faire valoir ta pertinence dans la société. C’est te soumettre aux regards sceptiques de ton entourage, qui est souvent dans l’incompréhension totale quant à ton choix de parcours. C’est sentir que le gars qui te cruise au bar trouve ton domaine d’études pas mal moins cute que ton outfit, et te le fait savoir assez rapidement. Il a peur que tu sortes une casserole de ta sacoche et que tu te mettes à fesser dessus en guise de manifestation fortuite, révélant du même coup ta dense touffe de poils d’aisselle. Parce qu’on est tous des hippies marginaux frustrés qui pratiquent le dumpster diving dans nos temps libres.

Ceci dit, j’écris cet article pour moi et tous ces adeptes de sciences molles, de savoirs inutiles. Parce que, sans vouloir tomber dans la victimisation, nous sommes constamment discriminés, fusillés de commentaires ou de questions très clairement teintés de jugements, de généralisations. Pas tout le monde, mais souvent.

Innombrables sont les fois où j’ai entendu des choses comme : « Je trouve ça tellement nice que tu te lances dans un chemin sans débouchés, j’admire ton courage! », mais encore plus nombreuses sont les fois où on m’a dit : « Qu’esser qu’tu vas faire avec ça ? », ou pire : « à quoi ça sert ? ». C’est lourd. Ces questions sont un excellent moyen de couper la conversation bien sec, car oui, c’est vrai, la plupart d’entre nous, anthropologues, sociologues, historiens ou philosophes, ne savons pas vraiment « quesser qu’on va faire ». Et ça, c’est la source d’un grand inconfort pour plusieurs qui ne sont même pas concernés par ces disciplines. Être ce que plusieurs appellent, de manière se voulant péjorative, un « artiss’ », ça cause un malaise pour les gens extérieurs à cet univers, aux gens qui sont une valeur sûre dans notre contexte sociétale qui se veut néolibérale. Ben laissez-moi être bien claire : votre consternation n’est vraiment pas la bienvenue, et un peu insultante. Questionner l’avenir de quelqu’un d’autre sans être dans ses souliers ou son cerveau, c’est extrêmement déplacé, et ça arrive tout le temps. Tenez-vous le pour dit.

Cette crainte d’être catégorisé « d’artiss’ » devient un facteur de stress qui s’amplifie dès le CÉGEP. Comment savez-vous que quelqu’un étudie en sciences humaines avec math ? Parce que soyez bien assuré qu’il s’empressera de vous le dire : AVEC MATH. Le « avec math » te sauve d’un interrogatoire. Le « avec math » signifie que tu n’es pas encore une cause perdue, qu’il y a de l’espoir, même si secrètement tu te tappes les math pour qu’on te sacre patience… pour l’instant. Au fond, c’est la philo qui te fait tripper, et tu redoutes le moment où tu devras faire ton coming out, où tu devras nécessairement t’armer de patience, de courage et surtout d’estime de toi à toute épreuve.

Ainsi, force est de constater qu’un étudiant en génie ou en médecine qui a d’excellents résultats scolaires est synonyme de succès, de travail ardu, et se doit d’être acclamé.

Pour l’avoir vécu, un étudiant en sciences sociales qui obtient les mêmes résultats a choisi la voie facile, ne se développe pas à plein potentiel, on l’sait ben. Parce que rédiger un essai profond, réfléchi, intelligent, sur des dimensions sociales qui échappent à l’œil de plusieurs en mettant en relations divers auteurs et théories, c’est évidemment facile pour tout le monde. #sarcasmeprofond

Penser, jouer avec des idées, des concepts, se muscler le cerveau de manière alternative aux sciences appliquées est désormais dévalorisé dans notre société, et je trouve ça navrant. Je dois dealer avec le fait que la société encourage la vision où les sciences pures sont le symbole même de « s’ouvrir des portes », et que les sciences sociales, c’est se les fermer en pleine face ; sauf si tu es en droit ou en psycho, bien entendu.

Source

Ce texte fait donc appel à un cessez-le-feu quant à la dévalorisation des sciences sociales, et des PREMIÈRES sciences. Les physiciens, les philosophes et les scribes de l’Antiquité sont les ingénieurs, les avocats et les médecins d’aujourd’hui sur le plan du prestige. Astheure que nos ancêtres ont établi de bonnes bases scientifiques, ont réfléchi sur notre existence même, on peut prioriser davantage la pratique, en l’occurrence le gain de capital.

Au sein du bassin d’artiss que j’ai côtoyés durant mes études en anthropologie, on m’a souvent dit : « pourquoi ça t’affecte autant ce que les autres pensent ?» et « t’as juste à te tenir loin ». Ces suggestions sont à mon avis complètement anti-progressistes. En tant que jeune femme POUR le changement et le renforcement de la cohésion sociale, je ne veux absolument pas me satisfaire d’une vie dans un carcan avec mes semblables. Je veux mettre fin à ce schisme des disciplines « utiles » et « inutiles » qui se bashent entre elles.

Une de mes meilleures amis est médecin, et jamais au grand jamais je me suis sentie diminuée en sa présence ou pas à la hauteur d’une conversation. Ces gens qui ne jugent pas existent, dans un camp comme dans l’autre. C’est dans la diversité qu’il y a la beauté et la richesse, si vous voulez mon avis.

Ainsi, si je peux suggérer quelque chose aux parents qui doivent se rendre à l’évidence qu’ils ont mis au monde un artiss, ne lui coupez pas l’herbe sous les pieds. Ce serait la recette parfaite pour créer un adulte qui se sent incompris, déprimé et malheureux. Vous devriez chérir la soif d’apprendre, de s’éduquer, de s’émanciper dans la passion de votre enfant.

Le reste suivra.

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