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Performe, plus, encore

Productif, rentable, efficace, performant.

On dirait que je parle d’un dernier gadget ou d’une nouvelle invention créée justement pour diminuer le poids des responsabilités sur nos épaules. Mais non, je parle de qualités recherchées auprès des femmes et des hommes de notre génération. Je ne sais pas d’où vient exactement ce besoin de performer, d’être meilleur que possible. Quand est-ce que l’amélioration a fait place à la performance?

Quand j’étais enfant, il n’y avait pas de compétition entre nous : mon dessin était joli, le tien aussi, ta chorégraphie était bien réalisée, la mienne également, tu courais plus rapidement, mais je sautais plus haut, chacune ses forces. Je m’améliorais au fil des pratiques, je développais des stratégies, j’ajoutais de la finesse, mes histoires devenaient plus créatives, mes habiletés plus assurées. Mais il n’y avait pas de pression à être la meilleure.

Alors pourquoi est-ce qu’aujourd’hui, je ressens constamment cette pression d’être plus, d’être mieux? Pourquoi ai-je l’impression que l’on doit sans cesse être complètement investi dans toutes les sphères de notre vie? Performante au travail, en cuisine, au jardin, performante dans mes disciplines, dans mes hobbies, dans mes relations? Pour comparer ensuite sa performance, sa productivité avec tous, comparer le résultat, la fréquence, l’épanouissement. Comme si ta valeur en tant qu’individu devait se mesurer sur celle d’un autre. Absurde.

En vieillissant, je me suis souvent basée sur cette compétition pour me construire et me valoriser. Je me disais que je ne pourrais pas être écrivaine puisque mon amie écrivait mieux que moi, que je ne serais jamais désirée des garçons puisque mes amies étaient plus belles que moi, que je ne pouvais m’affirmer sportive puisque mon amie s’entraînait plus que moi, que je ne serais jamais une excellente enseignante puisque mes collègues étaient définitivement plus érudites, donc meilleures que moi. Afin de dédramatiser la situation, j’ai souvent agi comme la personne qui se « foutait » des conventions, celle qui prenait une double portion de crème glacée, qui ne refusait jamais l’occasion de fêter, qui se foutait de ses notes désastreuses à l’école. Voilà comment on déculpabilise, soi-même ou les autres, pour ne pas être la meilleure. Malgré moi, par envie ou par mimétisme, je prenais ma salade en photo, je m’entraînais tous les jours, je répondais au manque d’attention et je voulais, plus que tout, réussir mes études.

Je refusais cependant de tomber dans ce piège que peuvent faire miroiter les réseaux sociaux en exposant des comptes de jeunes femmes resplendissantes, sportives, aventureuses, voyageuses, belles, minces, épanouies, qui en plus de travailler temps plein, font du bénévolat, du yoga, du tricot pis des recettes végétaliennes qui ont l’air délicieuses, le tout en écrivant un livre sur leur mode de vie d’autosuffisance. J’exagère pis j’ai raison de le faire parce que ces profils correspondent à une amplification contradictoire à la réalité.

Difficile en effet de résister à l’effet de mode, à l’engouement de la société pour ces styles de vie basés sur des gestes en apparences éthiques, volontaires, idéalisés et normaux. La distinction entre ce qui est réellement possible de faire et ce qui est valorisé et encouragé par la société devient ambigüe, puisqu’on souhaite tous découvrir des aspects inattendus de notre vie, commencer de nouvelles habitudes et faire partie de la gang. Mais ces objectifs, ces critères de réussite, permettent en fait de mesurer l’aboutissement de ta vie, si tu la vis assez, pleinement, si tu vis la meilleure version de ta vie.

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Pis tu veux en parler de tes réussites, les partager, les créditer, auprès de tes proches et de tes collègues. Échanger sans jugement, sans se comparer instinctivement. Mais je n’arrive pas à me concentrer sur la pureté du partage, j’y perçois trop souvent les traces d’une compétition sans relâche, subtile et sinueuse, d’un certain renchérissement entre les interlocuteurs. Les performances sportives, l’activité physique ou la productivité pour certains, alors que pour d’autres ce sera les entraînements fréquents, les nouvelles recettes santé ou la panoplie d’activités diversifiées réalisées seule ou, encore mieux, en couple. Le sentiment de performance vient malheureusement gâcher ces partages sincères et bienveillants pour les remplacer, toujours, par cette compétition, cette course pour la vie, en ajoutant simplement un « mais moi, je… » de trop. Peut-être dois-je simplement m’arrimer de confiance pour que ce problème cesse?

Peut-être que dans l’fond, on devrait juste être heureux pour les autres. Heureux de leur fierté et de leurs accomplissements. Heureux de leur partage et de leur témoignage. Heureux pour eux that’s it.

La productivité, d’ailleurs, fortement encouragée dans nos sociétés, ajoute un élément important dans la course à la performance. La fameuse to-do list sur la porte du frigo, celle que tu coches, satisfaite du devoir accompli. Cette liste qui ne te permet jamais un temps de repos, puisqu’il y a toujours quelque chose à faire, à ajouter et qu’elle recommencera le lendemain et le surlendemain. S’il advient qu’une journée, ou même, quelques heures, je ne prenne que du temps pour moi, pour faire ce qui me plaît vraiment, je ressens une lourdeur, une culpabilité. En arrières pensées, je me dis ce que je pourrais ou ce que j’aurais dû accomplir pour ajouter un petit peu de productivité à ma journée.

Être le plus en santé possible, avoir le régime alimentaire le plus conscientisé, prévoir des entraînements dans le plaisir et non l’obligation, adopter un mode de vie plus écolo, avoir un style original sans cruauté animale et sans discrimination, ne conserver que des amitiés authentiques et loyales, se dépasser afin de devenir la meilleure version de soi-même, affirmer ses valeurs, voyager pour voir plus loin que le bout de son nez, sortir de sa zone de confort, être audacieux…

Mon malaise viendrait peut-être de ces objectifs de réussite que je souhaite atteindre, pour faire partie de la game t’sais, mais que je n’arrive pas à maintenir ou à garantir. Je n’arrive pas à garder le cap, à être contente pour ceux qui y arrive. Être simplement heureuse de voir des photos de bols de smoothie aux graines, de soirées auxquelles je n’ai pas été invitées, de voyages que je ne ferai peut-être jamais, de romans que je vais oublier de lire, de maillots de bain dont je n’ai pas besoin, de résultats d’entrainement impressionnants qui ne m’arriveront pas.

Mais, pour vrai, je me demande comment on arrive à s’épanouir si on court tout le temps pour tout vivre, trop vivre, vouloir être au top, envers et contre tous, sans s’épuiser, sans accepter qu’on ne sera jamais numéro 1.

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