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Personne n’est responsable d’être victime d’une agression sexuelle

L’invraisemblable conversation entre un policier et une victime de cambriolage

Le viol de M. Smith – Anonyme1

– « M. Smith, vous avez été cambriolé sous la menace d’un fusil sur le coin de la rue Locus et de la 16e avenue? – Oui. – Vous êtes-vous débattu contre le voleur? – Non. – Pourquoi? – Il était armé. – Donc, vous avez pris la décision consciente de satisfaire ses demandes plutôt que de résister? – Oui. – Avez-vous crié? Appeler à l’aide? – Non, j’avais peur. – Je vois. Vous êtes-vous déjà fait cambrioler auparavant? – Non. – Avez-vous déjà donné de l’argent? – Oui, bien sûr… – Et vous l’avez donné volontairement? – Où voulez-vous en venir? – Regardons-le sous cet angle, Mr. Smith. Vous avez déjà donné de l’argent dans le passé – en fait, vous avez la réputation d’être plutôt philanthrope. Comment pouvons-nous être certains que vous ne complotiez pas pour vous faire voler votre argent par la force? – Écoutez, si j’avais voulu… – Peu importe. À quelle heure a eu lieu le vol, Mr. Smith? – Autour de 23h00. – Vous étiez dehors, sur la rue à 23h00? Que faisiez-vous? – Je marchais. – Vous marchiez? Vous savez qu’il est dangereux de se promener si tard le soir sur la rue. Vous ne saviez pas que vous auriez pu être cambriolé? – Je n’y avais pas pensé. – Que portiez-vous à ce moment, Mr Smith? – Un complet. Oui, un complet. – Un complet dispendieux? – Bien – oui.

– En d’autres mots, Mr. Smith, vous vous promeniez sur la rue tard le soir dans un complet qui annonçait presque que vous seriez une bonne cible pour un peu d’argent facile, c’est bien ça? Je veux dire, faute de mieux, Mr. Smith, on pourrait même croire que vous l’avez cherché, non?

– Bon, ne pourrait-on pas parler des antécédents de l’homme qui m’a fait ça?
– Je suis désolé, Mr. Smith. Je ne crois pas que l’on voudrait violer ses droits, non? »

Le caractère invraisemblable de ce dialogue nous saute aux yeux. Cet homme se fait accuser d’avoir volontairement agacé le voleur qui l’a cambriolé. Ce policier va même jusqu’à le soupçonner d’avoir couru après ce vol, sous-entendant que le voleur n’est que victime de l’incitation de cet homme philanthrope qui a choisi de porter un complet dispendieux seul le soir.

Ce type discours ne fait aucun sens, alors pourquoi est-il socialement acceptable lorsqu’il est question de violence sexuelle?

« Que portais-tu? » « À quelle heure est-ce arrivé? » « Tu n’avais qu’à ne pas boire autant. » « Tu aurais dû te méfier des hommes que tu ne connais pas » « Pourquoi étais-tu à l’extérieur si tard? » « Pourquoi étais-tu seule? » « Qu’as-tu fait pour qu’il s’énerve ainsi? »

« Voyons, tu dramatises. Jamais il ne pourrait faire ça »

Comme si, en cet instant, tu avais cherché à être violée ou que tu méritais de l’être. Être violée et être consentante à l’être… Really, guys? On en est vraiment rendus à collectivement minimiser les agressions sexuelles et à mettre le blâme sur les victimes qui sont, massivement, féminines?

Parce qu’en plus de se faire dérober son intimité, son droit sur soi, sur son corps, et devoir vivre avec les contrecoups de cet événement traumatisant, il faudrait en rajouter une couche et tenir les femmes coupables des pulsions supposément « non contrôlables » des hommes?

Et comme si ce n’était pas assez, on te demandera pourquoi tu ne t’es pas débattu, pourquoi tu t’es laissé faire, pourquoi tu n’as pas dit non. Et gare à toi si ton assaillant ne t’a pas menacé d’une arme et/ou qu’il s’agit de ton conjoint ou d’une personne de ton entourage. Puisque, sans signe de résistance, on te suspectera d’avoir tout mis en scène. Cette banalisation du viol est plus que troublante puisqu’en plus de remettre en doute la parole des victimes, elle normalise une réalité qui ne leur est pas moins dangereuse.

Comme si le problème se situait au sein de la victime, passive et non consentante, et non au sein du violeur, actif, qui pose le geste de te violer. Ces réflexions apportent dans l’imaginaire collectif un inversement des rôles où le violeur deviendrait la victime de ses propres actes. C’est un discours trop commun et très dangereux à faire circuler.

Un viol n’est pas que l’acte d’un inconnu muni d’une arme, tard le soir dans une rue. Un viol, ça peut aussi être un conjoint qui se fout bien d’avoir le consentement de sa partenaire, un ami qui profite d’une femme alors qu’elle a trop bu, un proche qui s’octroie des droits sur ton corps.

Puis il faut mettre quelque chose au clair dès maintenant. L’homme qui ta violée n’a pas été saisi d’un moment de faiblesse dû à tes agissements, à ton habillement et/ou à l’endroit où tu te trouves. Au contraire, il était en pleine possession de ses moyens, à l’apogée du contrôle, qu’il s’est lui-même autorisé à avoir sur toi. Il était tellement en contrôle de lui-même qu’il s’est octroyé le droit et la légitimité de prendre le contrôle de ton corps, et ce, sans ton accord.

Peu importe ce que tu portais, peu importe tes agissements, peu importe ta relation avec cet individu, peu importe tes paroles, peu importe où tu te trouvais, à quelle heure tu y étais et avec qui tu y étais, RIEN ne peut justifier qu’il se soit approprié, sans ton consentement clair et réfléchi, TON intimité.

On ne peut y voir autre chose que l’affirmation violente de l’infériorité du féminin ainsi que la glorification sociale des comportements masculins toxiques. Le viol est, encore à ce jour, le seul crime où la victime se sent coupable, où on va la tenir responsable de cette violence et où ses propos seront systématiquement toujours remis en doute.

N’aie pas honte, ne te sens pas coupable pour ce qui t’est arrivé, tu n’y es et n’y seras jamais pour rien.

Personne n’est responsable d’être victime d’une agression sexuelle.

http://www.rqcalacs.qc.ca

***

1Le vol de M. Smith, Anonyme, Traduit par Geneviève Pagé, Université du Québec à Montréal, Idées politiques et féminisme, 2017.

Source

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