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J’ai vu une fille à l’aéroport – Par Noémie

J’attendais Hubert qui revenait d’un pays d’Amérique centrale, assise dans l’aéroport sur des bancs de plastique blancs avec des pubs d’avocats pas fiables sur les dossiers. À deux sièges vers la gauche de moi, il y avait une fille.

Elle essayait de lire un livre de poche blanc avec le nom de l’auteur en rouge gras et «  LA DÉLICATESSE » en majuscules noires et ses cheveux carrés, courts, bruns foncés lui tombaient dans le visage à toutes les 23 secondes.

Environ.

Elle portait un chandail rouge en laine tressée sur ses épaules et une mince chaîne en or sur ses clavicules assez saillantes, faut dire. L’ongle de son pouce était peinturé noir, celui de l’index était blanc, le majeur noir, l’annulaire blanc, l’auriculaire noir. Sur l’autre main, tous les ongles étaient rouges. Elle tournait une page ( la 85 ) puis renvoyait une mèche vers l’arrière, puis soupirait, puis tournait une page ( la 87 ), puis renvoyait une mèche vers l’arrière, puis ne soupirait pas, puis soupirait finalement, puis tournait une page ( la 89 et la 91 ), retournait une page dans le sens inverse ( la 90 ), puis soupirait, puis renvoyait une mèche vers l’arrière, puis soupirait encore.

Puis, un garçon vint s’asseoir près d’elle.

Un joli garçon, même. Les yeux basanés, les cheveux basanés, la face toute aussi basanée par les probables incalculables journées passées à regarder beaucoup trop par en haut quand il fait beau. Probable que basané aussi parce que chaque matin, il se lève vers les neuf heures, se prépare un café au lait, sort sur son balcon qui donne sur Charest vers les dix heures, y reste jusqu’à treize heures ou jusqu’à ce qu’il ait trop chaud ou jusqu’à ce que son café au lait soit trop froid où jusqu’à ce qu’il fasse trop tiède.

Bref, il était joli. Il était garçon. Vraiment, il était un joli garçon. Et il était à un siège vers la gauche de moi.

Au bout de quatre virgule cinq secondes ( environ ), il s’est tourné vers elle et il a juste dit :

–       « Salut »

Elle a relevé la tête ( et ses mèches et a soupiré ), puis fermé son livre, et elle a juste dit :

–       « Salut »

Pendant une heure ils ont parlé.

Elle, de son travail de relationniste qui la rend mal à l’aise, surtout quand elle prend l’ascenceur pour monter et descendre les 14 étages du building, qui au fond, en a 13 des étages, fait réel et concret que personne ne veut s’avouer, pas plus le Directeur Général, que le panneau de contrôle dudit ascenceur qui passe du chiffre douze au chiffre quatorze, comme si de rien n’était, comme si c’était dans l’ordre des choses.

Lui, de sa phobie de la couleur beige et toutes ses variantes et donc de la fois où sa mère avait peint sa chambre en blanc trop crème et que vingt minutes plus tard il était déjà dans un Club Vidéotron où il avait dépensé presque trois cent dollars en posters de n’importe quoi avec lesquels il avait couvert tous les murs de ladite chambre, parce que selon lui, c’est mieux vivre sous les regards d’Harry Potter, Marilyn Monroe et Bob Marley réunis et multipliés à la dizaine que dans du beige.

Au bout d’une heure, ils se sont embrassés.

De façon assez impolie, faut dire. Avec la langue et tout, et les mains à des endroits stimulants et les yeux dans le beurre et presque Lionel Richie et sa toune «  I Call It Love » et pendant un gros vingt minutes et non sérieusement pendant au moins cent-vingt-cinq ans, sans blague.

Et puis, il a demandé :

–       « Tu fais quoi ici ? »

Comme ça, sans savoir que c’était quelque chose de gros.

–       « J’attend. Je pars vers les trois heures du mat’ pour l’Afrique. Pour longtemps. »

–       « Pour combien de temps? »

–       « Trois ans, peut-être. »

Et je sais pas comment il a pu réfléchir aussi vite, aussi fort, aussi dur, aussi wow, mais il l’a fait et pas plus de cinq secondes ( en vrai, c’était cinq minutes, mais cinq secondes c’est plus romantique ) plus tard, il a dit :

–       « Je pars avec toi. »

Et les yeux de la fille et le sourire du gars et les mèches dans la face de la fille et la peau basanée gênée du gars et les mille millions de question qui suivirent.

Et la fille et le gars, au bureau des ventes.

Pour qu’il s’achète un billet.

Pour qu’ils partent ensemble.

Trois ans. En Afrique.

Peut-être.

Alexe Raymond, réviseure, raymond.alexe@gmail.com

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