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Le journal d'un boulimique-suicidaire

Comme vous le savez, j’ai été malade. Malade d’une dépendance dont même la drogue, l’alcool, l’argent ou le sexe ne pouvait me procurer autant de satisfaction. Au départ, quand j’ai débuté ma cure intensive d’amaigrissement, j’étais assez insouciant des répercussions qui pouvaient en découler. Je n’avais qu’un objectif en tête : ressembler exactement à ce que j’avais toujours voulu… être svelte. Contrairement à ce que je croyais, ce fût uniquement les premiers jours les plus difficiles physiquement. Mon corps était faible, crispé. Mon estomac criait famine jusqu’à ce que le tout se stabilise. Jamais jusqu’à ce jour je n’avais éprouvé autant de fierté envers moi-même Une telle détermination à poursuivre ses objectifs et à ne pas déroger à ses habitudes malsaines. Les mois précédents, pour diverses raisons, furent difficiles. Après de nombreuses ruptures, des relations amoureuses qui n’avaient pas de dénouement et des échecs professionnels, ma motivation vers la quête du « bonheur ultime » ne pouvait donc pas mieux arriver qu’à ce moment précis de ma vie.

Les jours avançaient, mon corps devenait de plus en plus svelte et élancé, je pouvais enfin voir le peu de muscles pour lesquels j’avais tant travaillé au cours de l’année. Jusqu’à ce moment, la force en moi d’où je puisais cette énergie et cette motivation à conserver cette voie était à son comble. Après toutes ces années à me faire humilier parce que mon corps était différent des autres, j’arrivais enfin à contrôler totalement mon alimentation et j’obtenais de vrais résultats. Je pouvais désormais porter tous les vêtements que je désirais, avoir le style que je voulais et par dessus tout, je me sentais beau comme jamais auparavant. Jusqu’à ce que la pire des choses m’arrive…

Je me préparais depuis deux semaines pour cette journée. J’avais débuté un nouveau régime de céleris, j’avais lu sur internet que le céleri était l’un des aliments les moins caloriques et les plus appropriés en situation de régime. Donc, mon alimentation quotidienne se composait uniquement de trois branches de céleri (une en me levant le matin et les deux autres juste avant d’aller m’entraîner) et de 5 à 10 cafés par jour. J’avais atteint un poids que même moi je ne croyais pas pouvoir atteindre, soit 106 livres. Après cette réussite, j’ai décidé que j’allais m’autoriser une gâterie pour la première fois depuis deux mois. Il y avait de TOUT : des fèves au lard, de la tourtière, des sucreries. Tout pour me satisfaire. Malheureusement, mon corps n’avait plus la capacité d’ingérer autant de nourriture. Résultat : Ma journée de rêve se transforma en après-midi complet à vomir dans les toilettes. C’est ainsi que ma descente aux enfers débuta.

Ce matin-là, j’avais réussi à courir pour la première fois 34 km. Tous les éléments étaient favorables à ce que j’aie du plaisir et que je sois heureux. Du plus loin que je me souvienne, jamais je n’avais autant senti mon ventre plat, mes muscles apparents et mon ossature aussi définie. J’étais complètement vidé de mon énergie et les résultats avaient commencé à apparaitre uniquement après une journée de privation. Au départ, mes crises de boulimie n’étaient pas tellement fréquentes. Me provoquer des vomissements était tellement épuisant que j’utilisais ce moyen seulement qu’en dernier recours. Ensuite, cette situation se répéta à toutes mes journées de congé d’entraînement. Puis, peu à peu, cette situation est devenue de plus en plus fréquente, voire une habitude quotidienne. Je comparerais l’épuisement qu’amène la boulimie sur le corps à celui d’une crise cardiaque. Bien des gens croient qu’il est aussi facile de se faire vomir à jeun que lorsqu’on est en état d’ivresse. Je vous assure que c’est faux. Pour avoir vécu  les deux situations, je vous affirme que ces gens ne savent pas de quoi ils parlent.

À toutes les fois que je vomissais, j’avais l’impression que j’allais y rester pour de bon. Quand cela se produit, les organes internes se crispent et deviennent douloureux, les muscles sont aussi crispés, la gorge se met à saigner parce qu’elle est irritée et la pression cervicale devient si élevée que j’avais l’impression que ma tête allait exploser. Le rythme cardiaque devient irrégulier et les douleurs abdominales deviennent insupportables de sorte qu’à maintes reprises, je croyais faire une hémorragie interne. Maintenant, imaginez-vous vivre cette situation quotidiennement. Et si seulement c’était la fin. Mais non… Par la suite, il y a la culpabilité et la honte qui s’emparent de notre esprit et la seule solution qui s’offre à nous à ce moment, c’est cette pénitence que l’on inflige à son corps.

Le 16 mai 2013, je suis à Toronto afin de passer une évaluation dans le cadre de mon travail pour un nouveau poste qui est, à cette époque, une des étapes les plus déterminantes pour mon avenir professionnel. Le matin même, je suis incapable de bouger de mon lit. Mon ventre est couvert de bleus et enflé comme jamais car j’ai du me frapper pour réussir à évacuer la nourriture que j’avais ingérée. Mes jointures sont ensanglantées et ma gorge enflée comme si j’avais eu la pire des infections. Les douleurs deviennent de plus en plus sérieuses et mon souffle irrégulier, de sorte que la seule solution est de gémir dans l’espoir que quelqu’un m’entende dans le couloir et appelle les urgences. J’ai mal, mal comme si j’avais été tabassé. J’avais si peur. Peur d’y laisser mon dernier souffle. Loin de ma vie, de mes amis, et ce, sans avoir eu droit à dire un au revoir ou à une dernière chance.

Trois ans plus tard, je me rappelle comme si c’était hier de tout ce mal de vivre que j’éprouvais. Cette douleur extrême qui habitait mon âme et mon corps. Même si ce n’est pas toujours évident, je peux enfin dire qu’après toutes ces années d’efforts, la vie goûte meilleure de jour en jour. Parce que c’est faux de croire que le bonheur tient qu’à une branche de céleri… ou trois!

Par Pier-Marc Savard

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