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T’as pas d’cœur – Par Noémie Rousseau

J’arrive au travail. J’ouvre la grande porte vitrée de la bâtisse. J’enlève mes bottes mouillées, mes bas humides à cause de mes bottes trop mouillées. J’enfile mes petites ballerines léopard (wild la fille), et je fais le tour des lieux afin de saluer mes collègues, question d’être polie et de bien commencer la journée.

« Salut Marie! »

« Salut Cath! »

« Salut Ana! »

(Y’a pas de garçon ici.)

« Salut Josée! »

Toutes répliquent avec un sourire et un « bonjour! »

« Salut Mia! »

Sauf Mia.

Un sourire forcé, sans plus ni moins, et un « bonjour » muet.

« Ça va tu, toi? »

« Oui, oui. »

« T’es sûre? »

« Oui. »

Je retourne à mes affaires, mais j’ai quand même une pensée obsédante qui me trotte dans la tête : qu’est-ce qui se passe avec Mia?

Et plus le temps avance, plus c’est pire. J’arrête pas de me demander pourquoi elle m’a pas dit « allo ». Coudonc, est tu fru contre moi? J’ai tu fais d’quoi d’pas correct?

À ma pause, je décide de retourner la voir, juste pour essayer de savoir quessé qu’elle avait ce matin.

« T’étais-tu correcte tantôt? T’avais vraiment l’air bête. J’me demandais si tout était beau. »

(Moi, dans la vie, je suis directe, et je préfère aussi que les autres le soient avec moi. Des paroles, qu’elles soient blessantes ou crues, sont toujours plus faciles à accepter par la personne concernée que de l’entendre derrière son dos. En agissant de la sorte, j’ai l’impression que cette attention me revient, même si je sais que c’est pas tout le monde qui comprend le principe.)

« Ouin, excuse-moi. J’me suis pognée avec mon chum à matin, mais c’t’arrangé. J’l’ai appelé tantôt… Ah, j’te dis des fois, hein? »

« Cool! J’suis contente que tu ailles mieux. »

Dire que j’m’inquiétais pour rien et que je me sentais coupable pour aucune raison, comme d’habitude. La pression est retombée. Je peux me remettre à penser à d’autres choses, enfin!

Les sentiments des autres, j’en fais toujours une affaire personnelle. Les sentiments des autres, je les ressens, je les vis. Ils me collent à la peau comme un reste de rhume du mois de novembre. Ils dominent mes pensées, mes émotions, bouffent mon énergie et, malheureusement, y’a pas de remède miracle pour ça. Il suffit de trouver comment gérer son trop-plein de sensibilité vis-à-vis de notre entourage.

Je me souviens quand j’étais petite et que ma maman n’était pas de bonne humeur pour une raison que j’ignorais, immédiatement, j’aspirais malgré moi son tempérament du moment, quel qu’il était.

« Coudonc toi, t’es ben bougonne aujourd’hui! »

« J’suis comme toi, c’est toi qui me rends de même. »

Je n’arrivais pas à comprendre pourquoi les autres avaient ce contrôle sur mes émotions.

J’absorbe l’énergie que les gens dégagent : joie, tristesse, peur, nervosité, inquiétude, angoisse, excitation… Mais quand tu comprends pas encore ça, tu penses que t’es juste une personne vulnérable pis over émotive sans aucune raison apparente.

Alors qu’un jour, on en vient à ne plus être capable de dealer avec le tempérament de chacun et à tomber à court d’énergie pour s’immuniser contre ce « rhume ». On finit par se construire, involontairement, une grande muraille, comme celle de Chine, qui nous protégerait des autres et, par conséquent, de nous-même.

« Être sensible, c’est être faible. »

Pis être faible dans un monde comme le nôtre, c’est se faire systématiquement engloutir et manger tout cru avant même d’avoir eu la chance de nager contre les vagues et les poissons voraces d’une société qui nous veut grands et forts.

Cette muraille défenderesse me permet donc de retenir mes larmes lors d’un film (même pas triste), mais qui contient une trame sonore ô combien inspirante et belle, m’infligeant du coup des émotions trop intenses que je ne peux contenir en moi, m’emportant dans un état d’esprit où je ne peux me résigner à simplement l’apprécier. Je la sens partout, et chaque chanson, chaque mélodie, chaque son d’instruments restera gravé dans ma mémoire pour toujours et s’associera naturellement à un souvenir, à une émotion, à une période de ma vie ou à des personnes. La musique reflète la sensibilité de mon âme, celle que j’essaie de dissimuler.

La même chose se produit pour une photo, une peinture, des livres, de la poésie…

Fait que, quand je suis toute seule dans mon char ou bien chez moi et que j’entends une toune qui me fait de l’effet, pas besoin de vous expliquer que je pleure à chaudes larmes. Je pleure comme une fille qui vit trop intensément son SPM. Je pleure comme un gars qui épluche des oignons pour la première fois.

La joie.

Mais pour ce qui est des vrais films tristes, oubliez-moi, impossible de m’en remettre après le générique. Je me souviens exactement la première fois que j’ai écouté Les Pages de notre amour : la fille pu capable de décrocher, un vrai boulet pour mes chums qui ont dû passer deux heures à me convaincre que c’était « juste un film ».

Donc, on peut dire que La Liste de Schindler et Moïse : l’affaire Roch Thériault, je les ai encore sur le cœur. Ah! Pis Enfants tueurs à Canal D.

Dorénavant, quand j’suis accompagnée, je me réserve un p’tit Massacre à la tronçonneuse ou bien un navet d’Adam Sandler. No more Kleenex!

De plus, perchée là-haut, quelque part dans ma grande muraille, la solidité des briques m’aide à me protéger, en apparence, de toutes attaques humaines potentielles, aussi futiles et ridicules soient-elles.

Que ça soit un « bonjour » pas très convaincant, une critique, un regard de travers, quelqu’un qui n’a pas répondu à mon texto, un jugement ou même une joke sur moi, je vais le prendre personnel.

Tout devient sujet à réflexion et à remise en question.

J’ai l’intuition aiguisée et un grand sens de l’observation.

Je ressens facilement le malaise des gens, et j’ai tendance à me l’approprier et à chercher à l’approfondir, ce qui peut devenir malsain et pesant au fil du temps.

La façon dont les autres me perçoivent se déforme et devient floue. J’ai tendance à ne pas savoir comment lâcher prise, et je me perds alors dans mes pensées, ce tourbillon qui m’entraîne dans une paranoïa provisoire.

Une simple phrase telle que « est-ce que c’est à cause de moi? » peut devenir nocive. De belles grosses rumeurs juteuses inventées et alimentées par nulle autre que moi!

Le seul moyen que j’ai trouvé pour me débarrasser du fardeau du monde entier sur mes épaules, c’est d’y mettre une barrière, ma fameuse muraille de Chine, qui me sert de bouclier.

Quelques personnes, des amis très proches et ma famille en particulier, reconnaissent les failles, mais pour les autres, ils restent de l’autre côté du grand mur qui me sépare d’eux et de toute vulnérabilité.

Ils restent du côté d’une Noémie dénudée d’émotions, d’une personne qui peut sembler froide et directe, et qui transpose sa grande sensibilité en sarcasme et en humour.

« Lorsque je choisis d’accorder ma confiance à quelqu’un, me sentir rejeté ou indésirable devient une de mes plus grandes peurs. Ma susceptibilité prend souvent le dessus et je tombe aussitôt en mode défensif. C’est plus fort que moi, je suis un hypersensible. »*

Alors on finit par miser sur la carte de l’indifférence et prétendre ne rien ressentir plutôt que d’afficher ses faiblesses et ses sentiments, même si, à l’intérieur de nous, c’est totalement l’inverse.

Et au bout du compte, je passe pour une pas d’cœur, une fille qui en a rien à foutre.

Toi, trouves-tu ça?

Ah pis, de toute façon, je m’en fous de ce que tu penses…

À bientôt mes petits crépues sensibles xox

* Extrait tiré du roman d’Emmanuel Lauzon, La rage de vivre

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