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En pause dans un monde qui tourne

Il y a soi, puis il y a le monde. Partout où tes pas te mènent, tu croises des visages, des yeux, des bouches, des corps. Tu entends des mots lancés à la volée qui ne te sont pas destinés, tu observes des embrassades, des sourires échangés, des regards bas, parfois. Et là, tu songes un instant que tu es toi au milieu de tous ces eux. Eux composent le monde, dansent au rythme de leurs journées respectives, vont et viennent dans cette chorégraphie sans fin et toi, à ce moment précis, tu fais une pause. Une pause dans un monde qui ne cesse de tourner.

Assis(e) sur ce banc, tu t’interroges : « Combien sommes-nous à être en pause à cet instant ? Combien sommes-nous assis ici, sans autre but que d’être là, être tout court ? »

Ton regard scrute les environs : un banc, deux bancs, trois bancs. Au quatrième, tes yeux se posent sur une dame d’un certain âge. Seule, elle ne lit pas, elle est juste là, toute entière, elle regarde, observe, contemple. Elle semble s’émerveiller devant les enfants à l’énergie débordante qui grimpent, tombent, remontent, tombent à nouveau de cette toile d’araignée géante qui domine leur parc. Il est 14h18, et jusqu’à 16h32, tu partageras un temps avec cette dame. Elle n’en saura rien, c’est une rencontre qui n’a pas lieu, un moment ensemble qui n’appartient pourtant qu’à l’un.e et l’autre. Tu ne peux t’empêcher de te demander ce qu’a été sa vie. Tu tentes de deviner un prénom, tu sondes son humeur… À quoi songe-t-elle ? Rêve-t-elle encore ? Tu te surprends à sourire aux mêmes instants qu’elle face à ces enfants qui offrent un spectacle aux allures humoristiques, de vrais comédiens en herbe. La joie semble alors communicative. Des émotions vous traversent, universelles, fondamentalement humaines. Alors, tu comprends que vous appartenez au même monde, mais probablement sans l’habiter de la même façon. À chaque visage, tu te dis que c’est un monde dans LE monde. Autant de sois distincts. Quelle beauté, quelle richesse ! Ce monde peut se réinventer à chaque instant en dépit des normes et des carcans qui semblent le régir. Si seulement on prenait le temps.

Dans une société à vitesse grand V, avide de productivité et de rentabilité, il n’y a plus de temps pour penser. Il faut courir, partout, tout le temps, prévoir, anticiper l’après en omettant le présent. Après quoi courre-t-on ? La pression est débordante, oppressante, le monde s’asphyxie. Consommer avant de se consumer. Et pourtant, aujourd’hui, tu partages une pause avec Madame. Son âge lui permet-il de se l’autoriser ? Est-ce un rituel qu’elle a toujours pris le soin de conserver ? Sommes-nous en train de courir jusqu’à son âge pour se sentir légitimes, enfin, de pouvoir s’arrêter ? Une vive affection pour elle s’empare de toi. Des décennies vous séparent et, pourtant, quelque chose vous unit, ici et maintenant, dans ce jardin, à 15h35.

En prenant le temps d’observer, il est vertigineux de voir combien de vies différentes traversent la nôtre, de contempler cette inlassable valse des âmes. Ce spectacle n’est visible qu’à l’œil de celui qui accepte de faire une pause, de faire un pas en arrière, de reprendre son souffle. D’habiter le monde en étant là, simplement là.

16h32, elle se lève. Sans le savoir, elle t’aura tenu compagnie cet après-midi. Sans le savoir, elle a nourri ton imagination, éveillé des émotions, partagé ta réalité, juste quelques heures. Ce temps suspendu vous a réuni, vous a lié. Un-deux-trois, un-deux-trois, sa chorégraphie reprend, la tienne ne tardera pas à suivre. Au revoir, Madame.

Cette pause en était-elle vraiment une ? Cet instant n’était-il pas l’essence de la vie, finalement, dans toute sa splendeur ? N’as-tu pas vécu, pleinement, entièrement, savoureusement ce temps ? Une chose est certaine, tu reviendras sur ce banc, souvent. Avant que le monde ne t’asphyxie de nouveau, avant que ta danse perde son rythme propre et devienne trop effrénée, trop saccadée, tu viendras te poser, respirer et peut-être retrouveras-tu ta compagne d’un jour.

Le monde qui t’entoure est un ballet. Alors, danse. Oui, danses-y, mais n’oublie jamais de prendre le temps de le contempler, aussi.

Crédit : Metin Ozer, Unsplash.com

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